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bon sens n’est point troublé par les illusions de l’intérêt, nous ne faisons que ce que la circonstance et la nécessité nous semblent exiger. C’est ainsi qu’en nous trompant nous profitons de nos erreurs mêmes[1]. » Tocqueville, dans sa Démocratie en Amérique, et Macaulay, si je ne me trompe, dans son célèbre Essai sur Bacon, avaient déjà dit quelque chose de cela.

On ne s’étonnera donc pas a priori que, de tous les catholiques, ceux qui se vantent, et avec raison, d’être gouvernés par les institutions les plus libres, soient pourtant ceux qui peut-être ont le plus favorablement accueilli la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale. On en a vu plus haut quelques-unes des raisons, et que le caractère en était essentiellement « pratique. » Dans un pays où, d’une seule secte, il s’en engendre tous les jours de nouvelles, ce qui peut bien être, si l’on le veut, une preuve de vitalité, mais ce qui est aussi une cause d’affaiblissement, les catholiques ont de tout temps senti ce que leur étroite union avec le Saint-Siège leur conférait de prestige, de force, et d’autorité. C’est pourquoi le Père Hecker disait au lendemain même du Concile du Vatican : « La définition du Concile complète et fixe à jamais l’autorité extérieure de l’Eglise contre les hérésies et les erreurs des trois derniers siècles… Elle ne laisse subsister aucun doute sur l’autorité du chef des Chrétiens. Les partisans de Döllinger ne voient pas que ce qu’ils prétendent désirer, le renouvellement de l’Eglise, ne peut s’accomplir que par le règne souverain du Saint-Esprit, lequel règne suppose une entière et filiale soumission à l’autorité divine extérieure[2]. » C’est ce que montrait à son tour, quelques années plus tard, à sa manière, moins mystique ou plus concrète, moins ambitieuse aussi que celle du Père Hecker, le cardinal Gibbons. « Il n’y a point, disait-il, de gouvernement libre, — je crois pouvoir ainsi traduire le mot d’Independent, — sans un tribunal suprême chargé d’interpréter les lois et de trancher les controverses qui peuvent toujours s’élever : telle est à Washington, la Cour suprême des Etats-Unis. C’est ainsi que l’organisation de l’Église est désormais complète ; et ne pouvant, comme

  1. L’article a paru au mois de mars de cette année, dans le Catholic World, et au mois de juillet, dans la Rassegna Nazionale, de Florence, sous le titre de l’America come è vedula dall’ estero.
  2. Le Père Hecker, fondateur des Paulistes américains, par le P. W. Elliott, de la même Compagnie, traduction française ; Paris, V. Lecoffre, p. 397.
    J’ui un peu adouci la manière dont le P. Hecker, avec une franchise tout américaine, s’explique sur « les… partisans de Döllinger. »