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seule chose, qui est que chacun de nous ne cède à la tentation de s’ériger non seulement en juge actuel, mais en loi souveraine de ses propres actes ; et une autre chose en pratique, ou en fait, qui est la tentation de subordonner, ou d’asservir les autres aux exigences de notre développement personnel. Si donc on n’applique l’effort de son individualisme qu’à se rendre, comme les catholiques d’Amérique, plus digne d’une tache dont l’objet n’est essentiellement que de soutenir les fidèles ou de propager la foi, d’une part ; et, d’autre part, si l’on consent que ce ne soit pas nous, mais une autorité extérieure qui nous juge, une autorité visible, et une autorité sans appel, je n’oserais dire que le danger ait entièrement disparu, mais à coup sûr il est singulièrement atténué. Car on concourt alors, tous ensemble, à une œuvre commune, et l’esprit de cette œuvre juge les actes de l’individu, quand encore il ne les dicte pas. Aussi le même homme a-t-il pu écrire : « L’action croissante du Saint-Esprit, jointe à une coopération plus active de la part de chaque fidèle, élèvera la part de la personnalité humaine à une intensité de force et de grandeur qui marquera une ère nouvelle dans l’histoire de l’Eglise ; » et, presque dans la même page : « En cas d’obscurité concernant l’origine divine de tel ou tel mouvement de l’âme, on reconnaîtra le chrétien éclairé et sincère à la promptitude de son obéissance aux décisions de l’Église. » Il n’y a pas de contradiction dans ces paroles du Père Hecker. Il n’y en a pas davantage entre ces paroles de Mgr Ireland : « Il y a eu des époques où l’Eglise, par une conséquence nécessaire du genre de guerre qu’elle subissait, a dû comprimer fortement l’activité individuelle ; » et celles-ci, qui sont également de lui : « Aujourd’hui plus n’est besoin de cette compression… et chaque soldat chrétien peut s’élancer à la bataille suivant l’impulsion de l’Esprit de vérité et de piété qui souffle en lui[1]. » Mais par où se fait le dénouement, pour l’archevêque de Saint-Paul, comme pour le fondateur des Paulistes ? Ils nous le disent assez clairement ! Si l’on peut en sûreté de conscience user de cette méthode nouvelle, ou plutôt renouvelée des grands Saints et des fondateurs d’ordre, — car, un saint François d’Assise ou un saint Ignace de Loyola, qu’ont-ils fait autre chose que « s’élancer à la bataille suivant

  1. Je crois que j’ai oublié de dire que toutes les citations que je faisais des discours de Mgr Ireland, sauf une seule, dont j’indiquerai plus loin la source, étaient tirées de l’édition qu’en a donnée l’abbé Félix Klein : l’Église et le Siècle, 8e édition ; Paris, 1894, V. Lecoffre.