Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

christianisme en société ? » Ne serait-ce pas le Père Hecker, à moins que ce ne soit le Père Elliott, son biographe ? Mais, au contraire, le catholicisme est précisément « l’organisation du christianisme en société, » et les hommes aiment à sentir, ils aiment à penser, mais ils aiment bien plus à croire en société. Nos croyances ne vivent, pour ainsi dire, que d’être partagées.

Voici encore un moyen d’action dont dispose le catholicisme. La facilité du divorce est, dit-on, l’une des plaies de la société américaine, et dans l’un de ses livres : Our Christian heritage, le cardinal Gibbons y dénonce un des pires dangers qui menacent la civilisation de son pays. « La facilité avec laquelle on divorce en Amérique, écrivait-il en 1889, est à peine moins déplorable que l’existence du mormonisme, et en un certain sens elle est plus dangereuse, comme ayant pour elle la sanction de la loi civile[1]. » Il donnait des chiffres ; il montrait qu’en vingt ans, de 1867 à 1886, le chiffre des divorces avait été de 328 716, dont 122 121 pour les dix premières années, et 206 595 pour les dix dernières, ce qui équivalait à une augmentation de 69 p. 100, tandis que la population ne s’accroissait que de 30. « Les autorités civiles, dit encore le même cardinal Gibbons, dans son livre intitulé l’Ambassadeur du Christ, et trop souvent les sociétés chrétiennes étrangères à l’Église catholique, ont abandonné l’un après l’autre les avant-postes qui protégeaient l’institution du mariage, si bien que maintenant l’essence même de ce sacrement divin est attaquée, ébranlée et menacée de ruine. L’union des époux n’est plus pour une multitude de personnes qu’un contrat qu’on brise à volonté. » Mais, ajoutait-il, « le catholicisme seul a été de tout temps le ferme et incorruptible défenseur du mariage chrétien ; » et il recommandait instamment à son clergé de ne pas laisser passer une occasion d’insister sur ce point d’histoire, de morale, et de dogme. Il ne paraissait pas douter que, si l’on réussissait à faire entendre aux femmes combien il importe à leur dignité, à leur sécurité, à la possibilité même de leur développement moral, que le mariage soit indissoluble, on ne les ramenât en nombre au catholicisme. Et il ne me l’a pas dit, je ne le lui ai pas demandé, mais j’ai cru l’entendre, et, l’espoir qu’il exprimait dans son livre, j’ai cru comprendre qu’il l’avait vu déjà commencer à se réaliser.

  1. Our Christian heritage, by James cardinal Gibbons ; Baltimore, 1889, Murphy, ch. XXXV et dernier : Des dangers qui menacent notre civilisation américaine.