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M. Sarrien les a fournies ; elles ont été pitoyables. Le ministre de la Justice, pour se disculper lui-même, a accusé l’insuffisance de la loi sur la presse et la mauvaise volonté du ministre de la Guerre qui venait de donner sa démission.

Si la loi est insuffisante, il fallait s’en apercevoir et le dire à temps, annoncer qu’on en demanderait la réforme, et déposer effectivement un projet dès l’ouverture de la session. Si M. le général Chanoine a fait réellement obstacle à l’application de la loi telle qu’elle existe, il fallait se séparer de M. le général Chanoine et en dire le motif. Le pays tout entier aurait été avec le gouvernement, s’il avait eu cette franchise et ce courage. Mais il s’est bien gardé d’agir ainsi. Fidèle à sa politique d’obscurité et de silence, il n’a rien fait, il n’a rien dit. Il a laissé, sur ce point comme sur tant d’autres, les esprits s’exalter de plus en plus, et peut-être s’égarer ; mais alors de quoi se plaint-il ? En dehors du devoir général qu’il a d’éclairer l’opinion, il avait ici un devoir particulier encore plus étroit, après avoir fait publiquement une promesse qu’il ne pouvait pas tenir. M. Sarrien a essayé d’expliquer qu’il n’avait pas pu le faire, parce que la loi ne permettait au ministère public de poursuivre que sur la demande du ministre de la Guerre s’il s’agissait de l’armée, ou des officiers injuriés ou calomniés s’il s’agissait des personnes : or, a-t-il dit, malgré une correspondance pressante qu’il a échangée avec son collègue de la Guerre, celui-ci s’est constamment refusé à prendre les initiatives qui lui appartenaient. Il faut le croire, puisque M. Sarrien l’a dit ; mais alors, nous en revenons à ce que nous avons dit nous-mêmes : — Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas proposé une modification de la loi ? Pourquoi n’a-t-il pas cherché un autre ministre ? — Le premier point était facile ; le second, avouons-le, l’était moins. On comprend que M. Brisson, après avoir fait l’essai de trois ministres de la Guerre, ait été un peu découragé, et qu’il ait eu un médiocre espoir de trouver mieux. Mais il est des circonstances où il n’est pas permis de s’arrêter aux considérations secondaires : il faut, avant tout, être énergique et clair. Un peu de prévoyance, aussi, est indispensable. Si sa circulaire était condamnée d’avance à rester lettre morte, M. Sarrien aurait dû le prévoir et ne pas l’écrire, puisqu’en l’écrivant, il donnait une espérance destinée à ne pas se réaliser. Si sa circulaire pouvait, au contraire, être appliquée, il fallait en prendre les moyens, et cela à tout prix. Pour n’avoir rempli ni l’une ni l’autre de ces obligations, le gouvernement a paru manquer de cette absolue sincérité que la Chambre était en droit d’exiger de lui, et c’est pour cela qu’il est tombé.