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II

L’art grégorien, nous l’avons dit, n’a qu’un objet. Cet objet, qu’il importe de définir avant d’y rapporter cet art, c’est la prière, la prière à l’église, la prière en commun et publique. Ce sont nos relations avec Dieu, nos relations à tous, et dans la maison de Dieu, soumises par conséquent à certains rites, environnées de certaines cérémonies. Voilà tout l’objet de l’art grégorien, le domaine où il convient à la fois de l’affermir et de l’enfermer. On ne saurait assez le répéter : le plain-chant est la musique religieuse par excellence ; il n’est pas toute la musique religieuse. En dehors de lui, des chefs-d’œuvre sont nés ; d’autres se produiront encore. Chefs-d’œuvre sacrés et parfois même chefs-d’œuvre pieux, mais dont la place n’est pas à l’église. C’est à l’église au contraire qu’est la place du chant grégorien, et seul peut-être il y est tout à fait à sa place.

Le chant grégorien est la meilleure forme musicale de la prière, comme la liturgie, rétablie par Dom Guéranger, en est la forme verbale par excellence. Il était naturel, nécessaire même, que la restauration des mélodies suivît celle des textes. Elle l’a suivie en effet. « Assez longtemps, écrivait Dom Guéranger, on a cherché l’esprit de prière et la prière elle-même dans des méthodes, dans des livres, qui renferment, il est vrai, des pensées louables, pieuses même, mais des pensées humaines. Cette nourriture est vide, car elle n’initie pas à la prière de l’Eglise ; elle isole au lieu d’unir. Tels sont tant de recueils de formules et de considérations publiés sous divers titres depuis deux siècles et dans lesquels on s’est proposé d’édifier les fidèles et de leur suggérer certaines affections plus ou moins banales et toujours puisées dans l’ordre d’idées ou de sentimens le plus familier à l’auteur du livre[1]. »On pourrait étendre cette critique aux œuvres de la musique extra-liturgique. Les plus admirables ne sont jamais que des interprétations particulières ou subjectives ; elles varient suivant le génie des maîtres, que ceux-ci d’ailleurs s’appellent Palestrina, Haendel ou Bach, Mozart ou Beethoven, Rossini, Berlioz ou Verdi. Il est possible, et nous l’avons essayé naguère[2], de suivre dans l’histoire de la musique l’évolution de

  1. Préface de l’Année liturgique, par Dom Guéranger.
  2. Voir notre volume : Psychologie musicale (la Religion dans la musique).