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Il ne faut pas s’étonner, encore moins s’indigner de pareilles rencontres. Elles n’ont rien qui déshonore les mélodies sacrées. Qu’importe à celles-ci qui les chanta le premier ! Sans doute ce fut le prêtre à l’autel ; mais, fût-ce le laboureur dans le sillon, le Dieu des pauvres n’eût pas repoussé de pauvres chansons. Quand il appelle à lui des vierges qu’il aime, quand il leur dit : Venez ! son appel peut bien ressembler à celui d’un berger, puisqu’elles sont ses ouailles et qu’il est le Bon Pasteur.

Je me souviens qu’un soir, en ma logette de Solesmes, j’eus besoin d’un serviteur. Je le demandai. Il s’agissait d’un détail de ménage : une lampe électrique à régler. Ce fut un moine qui vint. Très simplement, souriant et sans mot dire, il s’acquitta de ce très simple office. Le lendemain matin, je le revis à la chapelle ; debout auprès du célébrant, il approchait de l’autel ses mains hier humblement laborieuses, aujourd’hui presque sacerdotales. Alors je crus comprendre la double signification des mélodies grégoriennes, et je ne vis plus qu’un accord symbolique dans l’apparent contraste de leurs diverses destinées. Parce qu’ils accompagnent, parce qu’ils allègent les travaux les plus modestes, — je dirais les plus misérables si le travail était jamais misérable, — ces chants ne deviennent pas indignes des offices les plus augustes, les plus sacrés. Egalement familiers et sublimes, ils peuvent être tantôt à la peine et tantôt à l’honneur. Il est naturel et, comme dit la Préface, « il est équitable et salutaire » qu’il en soit ainsi. Il convient que l’art chrétien par excellence, l’art qu’on peut le mieux appeler divin, ne soit pas celui des savans et des habiles, mais des ignorans, des petits et des pauvres, de tous ceux auxquels le royaume de Dieu a été promis.

Plus on étudie le chant grégorien, plus on voit s’accroître le nombre de ses beautés, de ses vertus et de ses bienfaits. Fidèlement docile à l’idée ou à l’idéal religieux, il n’y est pas docile servilement. Cet art obéissant n’est pas un art esclave. Libre de toute harmonie, il est libre aussi dans son rythme et libre enfin dans sa mélodie.

La veille de la cérémonie de profession, je lisais d’avance, avec un des religieux, le texte et la musique de l’office. Arrivés à l’un des passages les plus pathétiques, comme je demandais quel en était le mouvement, le Père me répondit : « Celui que voudra la jeune fille ; nous la suivrons. » Cette liberté d’allure peut se résumer en deux mots : le chant grégorien est soumis au