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Mais si l’on passe du dessin particulier de chaque figure au groupement d’ensemble, à la composition et à l’entente décorative, le rêve de Puvis de Chavannes se réalise et l’autorité du Maître apparaît. Ce n’est pas que là encore tout soit correct, et quand tout serait correct nous ne voyons pas où serait le dommage ? Si le portique du Bois sacré était plus congrûment construit et celui de l’Inspiration chrétienne mis en perspective, si les figures de la Vision antique et celle de l’Hiver avaient chacune les hauteurs qui conviennent à leurs plans respectifs, en quoi la beauté des lignes générales en serait-elle diminuée ? Et nous ne voyons pas qu’on puisse un instant prétendre que ces diverses figures sont à leurs plans. Mais si jamais le Ubi plura nitent… dut être prononcé, c’est ici. Si même nous avons employé le mot d’ « erreurs » en regardant ces œuvres par tant d’autres côtés admirables, c’est pour qu’on ne transforme point, par une généralisation hâtive, ces défauts en qualités — et ainsi les qualités de notre Enseignement des Beaux-Arts, en défauts, — et qu’on ne propose point le dessin de Puvis de Chavannes en modèle à de jeunes artistes qui n’ont ni son entente de la composition, ni sa couleur.

La composition et la couleur, voilà où il est le Maître, et où l’avenir, nous l’espérons, lui conservera la place glorieuse que les jeunes hommes de ce temps lui ont donnée. Le premier dans notre temps, il a compris que l’art décoratif devait s’accommoder aux conditions d’éclairage, de tonalité, et à l’espace du monument à décorer et qu’ainsi, entre les qualités de la fresque et les qualités du tableau de chevalet, il y avait un départ à faire et des différences à établir. « Si l’artiste qui décore une muraille, disait-il, ne s’accommode pas aux conditions de vie de cette muraille, la muraille le vomira. » En y réfléchissant, il saisit peu à peu ces différences. Il comprit tout d’abord qu’il fallait bannir de la muraille les « trompe-l’œil, » dont la vue fatigue et irrite à la longue, et même les violens effets d’ombre et de lumière qui font des trous et trompent l’œil, en effet, sur le plan et le rôle du mur. Il estima aussi que les scènes destinées à être vues longtemps durant des cérémonies publiques ou des leçons, ou dans la vie de chaque jour, doivent être calmes, paisibles, afin de s’allier également aux sentimens les plus divers, ne pas imposer leur spectacle, mais offrir un refuge à tous les rêves. Donc pas de grandes gesticulations ; pas de mouvemens rapides, pas d’équilibres instables. Ne voulant pas faire de trous dans le mur, il ne