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groupement est disposé sur le même plan, nettement dégagé du groupe suivant ou du précédent. Les longues lignes du fond relient tout ensemble, et tout est fondu et réconcilié par la couleur.

La couleur de Puvis de Chavannes est ce qui lui a valu le plus d’attaques. C’est peut-être ce qui sera de moins en moins contesté. Louer chez lui surtout et partout le paysagiste et le coloriste, peut paraître, au premier abord, un paradoxe. Mais c’est l’éloge cependant que l’avenir ne démentira pas. Qu’on imagine les figures de l’Hiver ou de l’Été ou même du Bois sacré privées de leur paysage, transportées seules sur un fond uni : on verra, hélas ! ce qu’elles garderont de poésie… Mais on imagine très bien le Bois sacré sans ses Muses, l’Hiver sans ses bûcherons. Ils resteront des pages magnifiques et leur poésie en sera à peine diminuée. C’est le paysage qui assure aux figures l’harmonie et l’unité.

Et l’harmonie est, en dernière analyse, le grand charme de cette œuvre. Cette couleur sourde, atténuée, qui, dans nos Salons. paraissait morte à côté des violentes fanfares de nos romantiques attardés, est la couleur qui convient le mieux à la peinture murale. Il suffit d’aller au Panthéon pour s’en apercevoir. À côté de cette harmonie en rouge pâle et en bleu qui est l’Enfance de sainte Geneviève les peintures si vives des autres décorateurs détonnent. Leur couleur chante brillamment, mais celle de Puvis de Chavannes psalmodie comme il faut dans ce temple. Leurs figures semblent sortir du mur ou s’y enfoncer, ou y avoir été collées par un méchant sorcier et faire des gestes désespérés pour s’enfuir. Les siennes paraissent y être nées et vivre d’une vie semblable à celle du marbre ou de la pierre de taille. Celles-là ont quelque chose de transitoire, d’agité, d’accidentel : celles-ci semblent éternelles.

La lumière qui y circule et qui semble, comme on l’a dit, « l’âme fluide et diffuse de la peinture monumentale, » est la vraie conquête de Puvis de Chavannes sur l’art décoratif d’autre fois et son vrai don à l’art décoratif de l’avenir. Il faut, pour avoir trouvé les rapports de tons qui la constituent, une rare finesse d’œil, un subtil tempérament d’artiste, une âme très sensible et très profonde, ressentant les altérations les plus fugitives de l’atmosphère et les emmagasinant longuement. Il faut aussi une rare justesse d’esprit et un robuste bon sens pour avoir dégagé des tentatives impressionnistes ce qu’elle contenait de juste : la clarté