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noix. Deux femmes debout les cueillent, tandis qu’une troisième, réfléchie, attentive, songe que la ligne effrayante qui partage la vie en deux hémisphères est maintenant franchie.

Autrefois et pendant de longs siècles, la France a connu, de l’Eté, les orages terribles mais aussi les resplendissans matins. Aujourd’hui elle semble, elle aussi, entrer dans l’automne de son histoire et de sa vie. L’automne d’une nation peut être long et ensoleillé, s’envelopper de gloire à la façon des vignes qui rougeoient et des châtaigniers dorés. Seulement ce n’est plus la saison des héroïques folies que font les peuples jeunes, ni des visages rieurs et insoucieux sentant devant eux les forces inépuisables et l’avenir indéfini. Comme le dit le proverbe japonais : « Les fleurs tombées ne retournent pas à leurs branches. » C’est la période des visages graves et des gestes sûrs, où toutes les forces doivent être rassemblées, toutes les expériences mises à profit, chaque pas surveillé, chaque éventualité prévue, chaque fruit mûri, comme ceux qui tombent dans la haute corbeille des nymphes du Palais des Arts. Si l’automne est réellement venu pour nous, les qualités brillantes et prime-sautières de la race française doivent se transformer en réflexion, en sagesse et en vigilance.

La Vigilance, ce fut le titre, jadis, d’une figure symbolique de Puvis de Chavannes : ce pourrait être celui de sa dernière œuvre. Nous avons aperçu pour la dernière fois le Maître devant le haut carré bleuâtre, où sainte Geneviève apparaissait, debout sur une terrasse, veillant sur Paris, la ville jeune et endormie. L’ayant peinte, le grand artiste est mort un jour de discordes civiles. Il agonisait pendant que des troupes campaient dans la capitale, au coin de chaque chantier. Il mourut la veille d’un jour où les foules nous donnèrent sur la place de la Concorde un spectacle qui n’était ni d’une Vision antique, ni d’une Inspiration chrétienne ni d’un Doux Pays. Sainte Geneviève veillait-elle toujours sur la Ville ? Et la Ville ne donnait-elle pas un démenti à ce qui fut, avec la dernière œuvre de Puvis de Chavannes, le testament de son génie et de son cœur ?


ROBERT DE LA SIZERANNE.