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D’une maison près de laquelle les soldats s’étaient arrêtés une petite fille avait vu tomber les victimes et fumer le bûcher : à la place indiquée par elle des ossemens ont été découverts. Les habitans qui survivent à Mudjak Desseri étaient d’accord pour affirmer qu’au moment où il fut emmené, le Père Salvatore tenait un cierge : à l’endroit de l’exécution on a trouvé un reste de corde, semblable à la ceinture des capucins, et un morceau de cierge ; la justice, qui se plaît à faire trébucher contre les plus faibles obstacles l’audace des criminels, a conservé intact près d’un bûcher ce petit morceau de cire. Les commissaires sont contraints d’enregistrer ces dires et ces constatations, l’ambassadeur réclame le jugement du colonel. Le sultan concède, le conseil de guerre acquitte. M. Cambon exige un second jugement, la condamnation à mort du colonel, déclare que, faute de cette justice, il enverra mouiller devant Alexandrette un navire dont les canons sont à longue portée. Le sultan sur cette menace réunit un second conseil de guerre, mais le navire réclamé par l’ambassadeur n’arrive pas, le gouvernement a peur des affaires. Le sultan rassuré fait condamner pour la forme le coupable à la déportation en Arabie à Taif, et, quelque temps après, Mahzar-Bey, passager sur un des paquebots Khédivié, bon vivant et beau parleur, contait à ses compagnons de voyage qu’il gagnait sa prison, avec le maintien de son grade, l’augmentation de son traitement, et la certitude d’une faveur prochaine, car l’Europe oublie vite et le sultan se souvient.

Tandis que nous sacrifiions notre influence à la crainte d’entamer quelque part une action isolée, l’Autriche, pourtant si prudente, n’hésitait pas à engager seule, et pour une bien moindre affaire, son pavillon. A Mersin, le Lloyd entretient un agent maritime : les Turcs ne l’avaient ni tué ni brûlé, mais expulsé de Mersin. Un navire de guerre autrichien vint aussitôt à Mersin, exigea, sous peine de bombardement, la réintégration de l’agent, la destitution d’un fonctionnaire turc et des excuses. Comme elle négociait en coups de canon à vue, elle obtint tout ce qu’elle voulait. Le contraste entre sa vigueur et la nôtre acheva de nous faire tort ; notre inertie donna prétexte à l’Italie pour déclarer que nous lui avions refusé le concours dû par nous à tous les catholiques ; elle fournit à l’Allemagne une preuve pour conclure que nous ne pouvions conserver le privilège, après nous être soustraits au devoir ; et notre protectorat religieux était atteint comme notre situation politique.