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turc. Pour toutes ces raisons il fallait interdire tout espoir de succès immédiat à la Grèce, en lui montrant toutes les chances de succès à venir : mais il fallait obtenir de la Turquie un gouvernement autonome pour la Crète. L’Angleterre encore était prête à cette politique ; en nous y associant, nous avions chance d’entraîner la Russie qui, orthodoxe, ne pouvait rester indifférente au sort de la Crète, et qui, en ce moment, pour des querelles de famille, ne voulait pas accorder à la Grèce une extension de puissance. L’Italie, malgré la Triple Alliance, suit, dans la Méditerranée, l’Angleterre comme une barque suit le sillage d’un grand vaisseau qui la remorque. Si ces puissances avaient manifesté leur volonté d’enlever la Crète au joug turc, les autres, l’Allemagne et l’Autriche, auraient-elles déclaré la guerre pour soutenir contre des chrétiens le fanatisme musulman en Crète ? Pas plus qu’à l’heure présente, où cet accord s’est établi entre l’Angleterre, la Russie, l’Italie et la France pour une action plus énergique contre le Turc, l’Allemagne et l’Autriche ne tirent l’épée pour le soutenir. Pour réaliser dès 1897 cette entente, il fallait l’intermédiaire de la France entre l’Angleterre et la Russie. Cet effort parut trop chanceux, et notre diplomatie crut prendre un mot d’ordre plus sûr en réclamant le concert de toutes les puissances et en s’interdisant toute action séparée. C’était remettre, sous le nom de concert européen, l’hégémonie à l’Allemagne. Celle-ci, en effet, avait déjà pris position publiquement et comme avec une volonté de scandale. Au lendemain des massacres de Constantinople, l’empereur Guillaume avait envoyé son portrait au sultan. Sans s’inquiéter d’autrui, elle avait manifesté sa volonté, où apparaissait la terrible simplicité de sa philosophie politique. Les différences de religion et de race ne comptaient pour rien en face de ce fait qu’un jour, l’arme d’un des deux peuples avait brisé l’arme de l’autre. La conquête avait donné la Crète à la Turquie : c’était assez pour que la Turquie seule eût droit de régler sa conduite envers ses sujets, et le respect dû à cette souveraineté légitime interdisait même un conseil. Faute que l’autre doctrine humaine et civilisatrice, celle de l’Europe, — quand il y avait une Europe, — fût opposée à cette théorie brutale de la force, la honte de préférer ouvertement l’Islam à la Chrétienté, celui qui frappe à ceux qui souffrent, celui qui défend son despotisme à ceux qui défendent leur vie, fut épargnée aux puissances. Et l’unique manifestation de leur concert fut un blocus dirigé contre les prétentions de la Grèce, contre les