Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins facile qu’on ne pourrait croire. Les affiliés de la Sainte-Vehme se réunissent à minuit dans un château en ruines pour délibérer sur les affaires publiques. Struensée prend la parole dans leur réunion, prononce contre lui-même un discours violent et offre d’être son propre assassin. Repoussé de ce côté, il repart à la recherche d’une condamnation. Enfin, cet arrêt tant désiré, Christian VII le signe dans un moment de lucidité : car il est jaloux de son ministre et il s’est pris de haine pour son sauveur. La scène où l’on nous montre ce roi maniaque tout réjoui à l’idée du méchant tour qu’il joue, lui malade à son médecin, lui débile au maître tout-puissant, est d’une grande beauté et elle a, grâce au talent de M. Le Bargy, produit l’effet le plus saisissant. Mais le roi est repris d’un accès de son mal. Rantzau, redevenu ministre, ne se soucie pas de faire exécuter l’arrêt. Il faut que Struensée insiste et règle lui-même les détails de son supplice. Au dernier acte, la reine, avertie du péril que court Struensée, envoie à son secours. Trop tard. Struensée a devancé l’heure. C’est le fusillé volontaire. — Les complications qui emplissent ces trois derniers actes nous semblent obscures autant que bizarres. Mais probablement l’auteur n’était pas libre ; il a dû se conformer à l’histoire. Cet acharnement d’un ministre à vouloir sa perte nous paraît fort extraordinaire. Les mobiles auxquels obéit Struensée nous échappent. Mais quoi ? L’invraisemblable peut être vrai. Les faits sont les faits. Nous sommes en présence d’un cas. Constatons et enregistrons sans chercher à comprendre. C’est de l’histoire.

Or ce n’est pas de l’histoire. — Rentrés chez nous, et justement parce que le drame de M. Paul Meurice ne nous a pas laissés indifférens, nous ouvrons nos livres. Nous y voyons avec surprise se démêler ce qui nous avait paru si embrouillé, s’éclairer les ténèbres, se dissiper ce malaise et cet ennui que causent toujours les choses mal expliquées, et s’enlever en plein relief la figure de cet aventurier hardi, brutal et, somme toute, assez vulgaire que fut Struensée. C’est le fils d’un pasteur saxon. Il s’ennuie dans sa famille dévote. Les théories de nos philosophes le séduisent par la conformité qu’il y trouve avec ses instincts. Il devient l’ennemi des religions positives. A Altona, où il a suivi son père, il étudie peu la médecine, mais il fait beaucoup de dettes. Homme de plaisir, il cherche les moyens d’être riche. Le métier d’écrivain, trop peu lucratif, ne le tente pas ; mais il songe à aller aux Indes pour faire fortune. De grands personnages avec qui il est entré en relations l’introduisent à la cour de Danemark. Le roi, qu’il a bien soigné, le présente lui-même et l’impose presque à la reine Caroline-Christine.