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voir réunis quelques types caractéristiques de l’endroit. Un usage touchant s’est établi peu à peu depuis la guerre de Sécession. Ce qui reste des hommes qui dans chaque localité y prirent part se transporte au cimetière pour décorer les tombes des camarades. Le 30 mai tombant un dimanche, la décoration annuelle est retardée ; cependant je vois les vétérans porter leur drapeau à l’église. Ils forment un groupe compact, marchant au pas militaire. Leur tenue est éminemment « respectable. » Bonnes figures énergiques et graves, profils droits taillés à grands traits, barbe rase, sauf parfois sous le menton ce petit bouquet de poil qu’on ne rencontre plus guère aux États-Unis que dans les régions reculées. Le chapeau de feutre à ganse d’or, l’uniforme bleu, montrent qu’on appartient à la société dite l’Armée de la Grande République. Ce sont des charpentiers, des forgerons, des fermiers, des gens que nous appellerions du peuple ; il y a pourtant un médecin dans le nombre. Je les reverrai la semaine suivante au cimetière où, musique et tambour en tête, ils iront planter les couleurs nationales sur les tombes de leurs compagnons disparus. Quelques-unes de ces tombes renferment le corps, d’autres ne sont que commémoratives. Et les familles suivent à pied ou en voiture, chargées de bouquets. Aux hymnes succède le chant national, America, sur l’air conservé de God save the king. Le ministre parle longuement de la guerre « qui jamais plus ne se renouvellera. » Une brise douce agite les arbres, le soleil éclaire cette scène rustique toute de recueillement, de prière, de respect, d’émotion virilement contenue.

Chaque tombe de soldat ayant été saluée à son tour, les vétérans continuent leur procession à travers la campagne ; ils vont chercher, dans les champs de repos dispersés qui apparaissent loin de toute église, et dans les cimetières particuliers attenans parfois aux fermes, le tertre vert ou la pierre levée qui recouvre un soldat.

Pendant les promenades que je fis sur les hauts plateaux du Maine, il m’arriva de voir une tache de couleur vive éclater dans la verdure ou briller sur la nappe blanche des marguerites en fleur : le drapeau, strié, étoile, bleu, blanc, rouge, des États-Unis, le petit drapeau tout neuf du jour de la Décoration attestait qu’un des enfans de l’endroit était mort pour son pays et que son pays ne l’oubliait pas.

Mais c’est à Boston qu’il faut cette année, 1897, célébrer le