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occupée d’acquérir des connaissances nouvelles, tout en aidant son mari, qui préparait des jeunes gens à l’Université, et en élevant ses sept enfans. Cela bien souvent sans domestique, forcée de servir elle-même le déjeuner dès cinq heures du matin et de raccommoder les hardes de la famille. Sa simplicité n’avait d’égale que sa distraction ; l’histoire du balai qu’elle transporta certain jour à travers la ville de Boston, tout en causant, est restée légendaire. Mme Ripley fut jusqu’au bout la conseillère vénérée d’Emerson, de même que « la sage Elizabeth, » Elizabeth Hoar, la fiancée de son frère défunt, était la confidente de ses plus secrètes pensées, sa pierre de touche.

Nous descendons vers la dernière demeure de Hawthorne, où la pervenche pousse à foison.

En errant sous les ombrages mystiques du Sleepy-Hollow, au milieu d’un imposant silence, les mots du poète : Ici, il y a des dieux, ne sortent pas de ma pensée, mêlés aux enseignemens vraiment divins d’Emerson. Que d’autres sourient du transcendantalisme, qui, soit dit en passant, se laissa donner, mais ne prit jamais ce nom ambitieux, qui se garda d’imposer des lois quelconques, qui n’eut que des buts larges, indéfinis, non promulgués, qui ne fut en un mot qu’un très noble état d’âme ; je le respecte avec toutes ses exagérations et toutes ses puérilités. Je ne reprocherai pas à Alcott ses manies, pas plus qu’à Margaret Fuller son pédantisme ; je ne chercherai pas querelle à Thoreau, comme j’étais prête à le faire en arrivant, pour s’être vanté d’avoir vécu solitaire au fond des bois, dans une maison bâtie de ses mains, tout cela près du lac Walden, d’où il entendait, — le mot est cruel, — la cloche du dîner d’Emerson. Ces gens ont été après tout les champions de l’idéal, ils ont délivré leurs concitoyens des liens de la routine et du convenu ; leur originalité s’est affirmée d’une façon généreuse dans ses excès mêmes, et leur héritage a contribué pour une grande part à former la société bostonienne d’aujourd’hui. Certes elle ne ressemble plus guère à la société rigide et artificielle que voulurent réformer, que transformèrent plutôt ces apôtres de la culture et de l’individualité. S’ils ne furent pas toujours très naturels, dans le sens que nous donnons à ce mot, par leur préoccupation même de revenir à la nature, d’être parfaitement eux-mêmes, de ne point se ressembler entre eux, ils furent du moins toujours sincères.

Quand, en regagnant le chemin de fer, je passe devant la