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pour les femmes ; quelques aventures de jeunesse lui avaient même valu un renom de galanterie, qui n’était pas pour déplaire à l’imagination de la marquise. La communauté d’origine, les anciennes relations de voisinage entre leurs deux familles, sans doute aussi certaines affinités de nature, déterminèrent promptement une intimité dont le dénouement ne se fit guère attendre. Ardente et passionnée, lasse d’un époux dont elle méprisait secrètement la faiblesse, dévote de cette dévotion extérieure qui se restreint à la pratique et ne descend jamais jusque dans la conscience, habituée de bonne heure à la corruption élégante des cours de France et d’Italie, Mme de Brignole ne trouva de secours contre la défaillance ni dans ses sentimens, ni dans ses principes, ni dans les exemples de son entourage. Comme cette comtesse de Grôlée, sa contemporaine et son amie, que l’on pressait de faire, à l’heure dernière, sa confession générale, elle eût pu réduire son histoire à cette explication : « J’ai été jeune, j’ai été jolie, on me l’a dit, je l’ai cru ; jugez du reste ! »

Rendons-lui cette justice qu’elle apporta dans cette liaison une passion sincère, et qu’elle couvrit ses écarts d’un voile de décence, chose assez rare à cette époque pour qu’on lui en fasse un mérite. Le marquis de Brignole, avec sa rigide droiture et ses idées « gothiques, » n’aurait pas eu la complaisance de certains maris à la mode ; l’habileté de sa femme sut maintenir le bandeau sur ses yeux. Il ne connut donc jamais toute l’étendue de sa disgrâce ; mais le peu qu’il en vit fut assez pour le rendre cruellement malheureux. La présence continuelle, à son foyer domestique, d’un homme qu’il n’aimait pas et qu’il n’estimait guère mit, depuis cette époque, sa patience à l’épreuve ; des scènes violentes éclatèrent à diverses reprises, notamment dans le cours de l’année 1754, quand le prince de Monaco, sous prétexte de voisinage[1], rejoignit la marquise à Gênes, et y séjourna plusieurs mois. C’est parmi ces dissentimens et ces tristes querelles que grandit Marie-Catherine, souffrant obscurément d’une situation fausse, dont elle ressentait le malaise sans en discerner les causes, perpétuellement ballottée entre deux partis opposés : une mère qu’elle admirait tout en la redoutant un peu, un père dont la bonté extrême plaisait davantage à son cœur, et la touchait « jusqu’aux larmes. » — « Jamais, s’écrie-t-elle d’un ton pénétré, il n’y eut rien d’aussi bon,

  1. Il venait à cette époque de faire un voyage dans sa principauté.