Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/596

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là ; mais vous n’y perdez rien de vos droits, ni de mes bontés pour vous. »

Après ce rude échec, la situation d’Honoré devenait assez délicate. Lâcher ce que l’on tient d’une main, sans avoir rien reçu de l’autre, est une mortifiante aventure et qui prête aisément à rire. Ce fut Mme de Brignole qui, dans cette déconvenue, vint au secours du prince et, par un revirement bizarre, lui permit de sauver sa mise. Le cœur des femmes a des replis dont l’analyse la plus subtile ne parvient pas toujours à scruter le mystère. À l’amour emporté d’autrefois, au juste courroux d’hier, succède chez la marquise, au cours des mois qui vont suivre, un sentiment nouveau, qui se développe obscurément et tue peu à peu les deux autres. Ce n’est d’abord qu’une pitié légèrement ironique pour la ruine de si belles espérances ; puis, insensiblement, devant le réel abattement d’Honoré, cette compassion devient sincère ; une tendresse protectrice s’éveille, dans l’âme de la femme vieillissante, pour le « pauvre enfant, » dont elle semble avoir oublié le parjure ; et tout doucement, par une transition lente, un progrès presque insaisissable, l’affection transformée s’épure et se fait maternelle. Ce mariage détestable, qui lui a coûté tant de larmes, c’est elle maintenant qui le désire et l’appelle de ses vœux. Elle en renoue de ses mains le fil brutalement rompu ; elle y encourage dans ses lettres celui qu’elle ne nomme plus que son « fils bien-aimé » ; elle presse Marie-Catherine de tenir sa parole ; elle se charge enfin, tâche plus difficile, d’obtenir le consentement du marquis de Brignole.


III

Vers le début de l’an 1757 s’entama cette affaire ; et les six premiers mois virent non moins de démarches, d’intrigues, de va-et-vient et de péripéties, que s’il se fût agi d’un traité solennel entre deux grandes puissances. Le prince de Monaco, fort aigri contre la cour de France, s’était depuis un temps confiné dans sa principauté. Mme de Brignole passait l’hiver à Gênes, avec sa fille et son mari. Ce furent, de Gênes à Monaco, pendant toute cette période, une correspondance incessante, un envoi perpétuel de mandataires et de courriers, transmettant les nouvelles, portant des instructions, concertant une action commune entre les deux alliés. La marquise, femme de tête et d’énergie, dirige toute la