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bonne, des combats acharnés. « Ce sont des oui, des non, qui se succèdent si rapidement qu’il n’y a rien à en dire, et que l’on n’y voit goutte ! » Un certain Chabrol, créature du prince de Monaco, que ce dernier entretenait à Gênes pour suivre les phases de l’affaire, informe jour par jour son maître de ces scènes lamentables, et, bien que peu sensible, rend justice au marquis sur la vraie cause de tant d’hésitations. « Tout ce qu’il met ici d’extraordinaire ne vient que d’un excès de tendresse pour Mlle sa fille, dont il ne peut envisager la perte. » Enfin, le 21 mars, le marquis de Brignole mande Marie-Catherine dans sa chambre, et là, seul avec elle, dans un entretien de deux heures, l’adjure solennellement de dévoiler ses sentimens intimes. Si ce mariage est le vœu secret de son âme, il est prêt, déclare-t-il, à sacrifier ses répugnances ; il fera « des excuses à Son Altesse, à Mme la marquise, à sa fille elle-même ; » mais qu’elle parle en toute franchise, et décide librement de son sort.

La réponse de la jeune fille fut telle qu’on la pouvait prévoir. Le sentiment y fut pour peu de chose ; la froideur excessive de ses lettres au prince témoigne éloquemment de la tranquillité de son cœur. Mais le respect de la foi jurée, l’ascendant d’une mère impérieuse, sans doute aussi le prestige, sur une imagination jeune et vive, du rang de princesse souveraine, dictèrent le oui fatal que prononça sa bouche. Sur quoi, « ils s’embrassèrent, et pleurèrent longtemps tous les deux[1]. » Puis, pour sceller l’accommodement, le marquis fit don à sa fille « d’un petit chien qu’elle aimait fort et qu’elle convoitait de longue date ; » car il savait bien, lui dit-il, que nul présent ne saurait la toucher davantage. « Mais il a des diamans, ajoute cyniquement le mandataire du prince, et cela vaudrait mieux ! »

Un billet de Marie-Catherine au prince de Monaco informa ce dernier du succès de sa demande : « Je n’ai aucun mérite, Monsieur, lui dit-elle simplement, à obéir aux ordres de papa ; le consentement qu’il vient de me donner n’a point prévenu le mien. Vous permettrez que je ne réponde point à ce que vous me mandez d’obligeant et de flatteur. Je m’en acquitterais trop mal, et j’ai trop d’intérêt à ne point détruire la prévention favorable où vous êtes à mon égard. » Le marquis, de son côté, pour consacrer l’accord, reparut le soir même au salon de sa femme ; « il y causa

  1. Lettres de Chabrol. (Arch. de Monaco.)