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vertueux qui règne maintenant sur la France ; » et il semble un moment près d’avoir gain de cause. Quand la princesse de Monaco fait demander à Marie-Antoinette la faveur de lui faire sa cour : « Je n’aime pas les femmes séparées, » répond sèchement la reine. Marie-Catherine insiste, s’adresse directement à la jeune souveraine, la prie de lui faire connaître le jour fixé pour la prochaine présentation ; elle reçoit pour riposte cette lettre froide et hautaine[1] : « Je vous aurais répondu plus tôt, Madame, si je n’avais voulu attendre pour parler au Roi. Je suis fâchée d’avoir à vous mander que la présentation est décidée entièrement pour demain. Je le suis aussi de voir que cette affaire vous affecte autant. Le temps vous désabusera des conséquences défavorables que vous envisagez aujourd’hui. J’espère qu’au moins vous serez toujours dans le cas d’être contente de mes sentimens pour vous. MARIE-ANTOINETTE. » Cet ajournement sans date ressemble fort à un refus. Il faut, pour parer ce rude coup, tout le crédit du prince de Condé, une démarche auprès du roi, l’intervention puissante du vieux comte de Maurepas.


VII

La répugnance de Marie-Antoinette s’explique par les allures nouvelles qu’a prises, au lendemain de l’arrêt, Mme de Monaco. La séparation prononcée a levé ses hésitations, emporté ses derniers scrupules. Elle se livre sans résistance au sentiment qui, dès longtemps, la domine et l’entraîne, et le fait hardiment, sans voile, la tête haute. Pour se rapprocher de Condé, elle se fait construire à Paris un hôtel élégant, au bout de la rue Saint-Dominique, tout contre le Palais-Bourbon. A Chantilly, la liaison est encore plus publiquement avouée ; elle y séjourne des saisons entières, en tête à tête avec le prince, dans une intimité complète et quasi conjugale. Entre l’hypocrisie et le scandale, son horreur du mensonge a promptement fait un choix ; sa conscience, semble-t-il, ne lui reproche rien ; elle s’absout de sa faute par sa sincérité. Sa passion, en effet, est ardente et profonde, et sa tendresse s’augmente de sa reconnaissance. La constance patiente de Condé, dix ans de dévouement et de soins attentifs, ont vengé les souffrances, les déceptions cruelles, les humiliations du passé.

  1. Archives de Beauvais.