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où, loin des visages hostiles, elle possède pour elle seule, quelques mois chaque année, celui qui, malgré tout, garde toute sa tendresse et tout son dévouement. Aussi ne cache-t-elle pas son contentement intime, le jour où elle découvre, après de longues recherches, dans un site qui lui plaît, à bonne distance de Paris, « ni trop loin ni trop près, » le riche et beau domaine dont la possession va la faire indépendante et libre, maîtresse d’organiser sa vie selon ses goûts. « Enfin me voici dame de Betz ! » s’écrie-t-elle joyeusement ; et la construction du château, l’aménagement du parc, l’embellissement de cette « retraite champêtre, » vont devenir pendant plusieurs années son occupation favorite. Le lieu qu’elle a choisi est le berceau antique des sires de Lévignen, la terre de Betz, près Crépy-en-Valois[1]. Non loin des débris grandioses du château féodal, s’élève bientôt une vaste et splendide demeure[2], où le goût sûr de la châtelaine entasse les objets d’art, les meubles précieux, les tableaux de maîtres, une merveilleuse bibliothèque, « véritable encyclopédie des connaissances humaines. » Tout à l’entour s’étend un parc immense, dessiné par Robert, le plus beau, disait-on, « des jardins anglais » qui fussent alors en France. Des massifs d’arbres exotiques, des parterres de fleurs rares, des eaux vives et jaillissantes, les ruines du vieux château encadrées avec art dans ce décor moderne, font des « jardins de Betz » une incomparable féerie, plus d’une fois célébrée par les poètes du temps[3].

Disposant de toute sa fortune, affranchie de tout contrôle, la princesse trouve dans ces travaux un aliment précieux à son activité ; et, si ses fantaisies sont parfois singulières, du moins témoignent-elles d’une imagination vive, fertile et romanesque. Un « temple à l’Amitié » rappelle et symbolise le sentiment profond qui remplit son existence ; des marbres, des bas-reliefs, une statue de la Déesse due au ciseau de Pigalle, décorent l’élégant édifice. Au pied de la statue elle fait graver ces vers :

Du bonheur ici-bas source pure et féconde,
Tendre Amitié, mon cœur se repose sur toi.
Le monde où tu n’es pas est un désert pour moi ;
Dans le fond d’un désert tu me tiens lieu du monde.
  1. D’après une tradition rapportée par le prince de Condé, le domaine de Betz aurait jadis abrité les premiers rois de France, Clotaire et Chilpéric.
  2. Le Gendre en fut l’architecte.
  3. Voir notamment les Jardins de Betz, poème, par Cerutti ; Paris, 1792.