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LA JEUNESSE DE LECONTE DE LISLE

il se montra économe à l’excès des deniers de son cousin et des plaisirs de son neveu.

Mais M. Leconte de l’Isle a réfléchi que son fils allait arriver en France « pour la saison des pluies, » et l’hiver le préoccupe. Charles ne doit pas « regarder à une brasse de bois de plus ou de moins. » Non pas qu’on le croie une demoiselle, « mais on travaille mieux, quand on n’a pas froid ; et on ne désire pas aller se chauffer ailleurs. » La maladie aussi est prévue ; il faut qu’on lui indique « le meilleur médecin qu’il devra faire appeler, ainsi que la garde-malade. » On ne doit rien épargner alors. « J’aime encore mieux sa santé que sa science, écrit M. Leconte de l’Isle. Nous travaillerons pour lui, sa mère et moi ; nous avons besoin essentiellement qu’il se porte bien pour être heureux. » Et, comme s’il se rendait compte qu’il formule beaucoup et de bien minutieuses recommandations, le bon père s’en excuse doucement près de son cousin. « Tu songeras que c’est un père qui envoie son fils à 4 000 lieues de lui. » Et, en déléguant ses pleins pouvoirs, il ajoute : « Remplace-moi, mon ami ; supplée dans ses intérêts à ce que j’ai omis ; fais pour le mieux, comme ton père fit pour moi dans ma jeunesse. »

Hélas ! que ne pouvait-il déléguer avec son autorité un peu de sa tendresse ! Charles Leconte de Lisle ne devait pas trouver auprès de son oncle de Dinan l’indulgence à laquelle on l’avait habitué, et la vie à Rennes allait être pour lui bien différente de celle de Bourbon.

Ce à quoi M. Leconte de l’Isle tient par-dessus tout, c’est à « savoir la vérité, toute la vérité sur son fils ; si elle est pénible, il tâchera d’y remédier. Qui n’a pas commis des fautes dans sa vie ? Encore vaut-il mieux connaître les erreurs de son fils que de le croire dans la bonne voie, quand il est égaré. Enfin, conclut-il, dans une de ses lettres à son cousin, sois sévère avec Charles pour la reddition de ses comptes ; cela lui apprendra à avoir de l’ordre. Il n’est point habitué à garder de l’argent. Dans le principe, on ne lui confie que l’argent de ses plaisirs et de ses leçons particulières, non qu’il soit aucunement capable d’en mésuser, mais il est si étourdi qu’il laisserait son secrétaire ouvert et il pourrait être dupe. Lorsqu’il sera habitué à soigner lui-même ses affaires, il est digne de toute confiance ; lui aussi, sera un honnête homme. »

Ces extraits de la correspondance de M. Leconte de l’Isle