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elle couvre d’opprobre, elle flétrit à jamais, elle note d’infamie quiconque les néglige ou les trahit. « Dans la famille chinoise, le père est maître absolu, a dit un missionnaire apostolique, auteur d’un beau livre sur Pékin. Ses fils, même avancés en âge, lui doivent le respect, l’obéissance et la vénération. Le parricide est un crime presque inconnu ; la ville où il aurait été commis devrait avoir un angle de ses murs rasés, puis reconstruit à pans coupés, pour perpétuer la mémoire d’un tel forfait[1]. »

M. de Brandt est sûrement l’un des hommes qui connaissent le mieux la Chine, où il a fait un long séjour et représenté l’empire allemand. Personne, si je ne me trompe, n’a jugé ce grand et étonnant pays avec plus d’impartialité et de philosophie. M. de Brandt n’est pas seulement un politique, c’est un penseur ; lisez avec attention les opuscules qu’il a consacrés au Céleste Empire, l’âme chinoise aura pour vous moins de mystères[2]. Elle a ceci de particulier que ses faiblesses et ses misères sont étroitement liées à ses qualités et à ses vertus, que les unes et les autres dérivent de la même source, et il est vrai de dire qu’en Chine, plus que partout ailleurs, les poisons sont des remèdes et les remèdes des poisons.

Dans la seconde moitié du VIe siècle avant Jésus-Christ, dans le temps où la Chine, soumise au régime féodal, était partagée en duchés héréditaires et où les empereurs ne possédaient que les vaines prérogatives d’une suzeraineté souvent illusoire, un homme qui se nommait Kung-Kiu, qu’on nomma plus tard Kung-fu-tsé, et que les jésuites ont appelé Confucius, lit beaucoup parler de lui. Ses biographes assurent qu’il ne fut jamais jeune, qu’il eut toujours l’air d’un petit vieillard, et nous les en croyons sans peine. Très attaché à ses habitudes, son costume, son régime, ses procédés, ses manières cérémonieuses témoignaient de l’extrême importance qu’il mettait aux petites choses, aux détails, et d’une attention soutenue à ne jamais s’écarter des règles qu’il s’était prescrites. Il avait parfois l’humeur enjouée, une douce ironie, et dans certaines circonstances, il prouva qu’il savait rire ; le plus souvent, il était morose, bourru, revêche, grondeur. Il se sentait né avec le génie de la remontrance, de la réprimande, et il se croyait tenu de reprendre, de redresser son prochain ; se piquant de tout savoir, il faisait sentir onctueusement aux autres la supériorité de son

  1. Péking, histoire et description, par Alph. Favier, Péking, 1896.
  2. Sittenbilder aus China ; Mädchen und Frauen, 1895. — Die Zukunft Oslasiens, 1895. — Drei Jahre ostasiatischer Politik, 1894-1897. — Aus dem Lande des Zopfes. 1898. — Die chinesische Philosophie und der Staats-Confucianismus. 1898.