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avoir patience. Je la prends de ma part. Prenez-la aussi de votre côté, je vous en prie, et croyez que je ne vous oublierai jamais. Votre très bonne amie, Marie. »

Richelieu absent, ses adversaires « travaillent » aussi l’esprit de la Reine. Non sans succès. Les lettres de l’évêque de Béziers sont là pour nous apprendre que le soupçon est soigneusement entretenu dans son esprit. Tantucci écrit à Richelieu : « Villesavin est le maître. » Il ajoute, d’ailleurs, poliment que la Reine « connaît le pèlerin. » L’évêque de Béziers écrit à son collègue de Luçon des lettres aigres-douces où le fiel perce. Les subalternes se plaignent de son absence et la lui reprochent. Un homme d’esprit peint avec détachement et philosophie les « météores de ce petit monde. »

La Reine elle-même change de ton dans ses lettres au Roi et à Luynes. Elle ne demande plus son conseiller et son ami avec la fureur des premières heures : « Monsieur de Luynes, écrit-elle, il faut que je vous confesse que j’ai été fort étonnée qu’on ne m’ait pas voulu donner du contentement sur le sujet de M. de Luçon. Car cela me fait croire qu’on ne se méfie pas de lui, mais de moi… C’est faire beaucoup de tort à mon intégrité de s’imaginer que je veuille me servir dudit évêque pour brouiller… Je désire me servir de lui pour mettre quelque bon ordre à mes affaires particulières. » Quel changement ! En vérité, la présence effective est nécessaire à cette femme de matière si lourde et d’esprit si court. Sinon, dans sa mémoire et dans sa passion même, les voiles s’épaississent vite. Elle écrit encore à Richelieu, en juillet, pour se plaindre de ne pas recevoir de lettres de lui. Elle ajoute que c’est chose « qu’il peut faire librement sans craindre que le Roi le trouve mauvais » et elle l’invite à « ne pas se montrer si paresseux à lui faire savoir de ses nouvelles. »

La lettre paraît froide. Mais combien plus froid le silence de l’évêque, de l’obligé, de l’ami ! Lui qui ne négligeait rien, il n’écrivait même plus à la Reine ! Le parti pris est évident. Son impitoyable coup d’œil avait jugé les incidens violens de ces courtes semaines et une autorité inébranlable sur soi-même avait dicté sa résolution.

Cette crise de mai-juin 1617, qui évolue entre la mort du maréchal d’Ancre et le départ de Blois, est capitale dans la vie du futur cardinal. Elle montre tout l’homme et dévoile son procédé à l’égard de la vie et, en plus, à l’égard de la femme. Inquiet, l’œil