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fécondes que le siècle qui va finir puisse léguer au siècle qui va commencer. Fides est sperandarum substantia rerum : la croyance est le fondement de l’espérance ; et on ne l’enlèvera pas à l’homme, parce qu’on ne lui enlèvera pas le besoin qu’il en a.


I

On l’a essayé, vous le savez ; et, comme on l’a vainement essayé, cela seul pourrait être une preuve qu’on n’y réussira pas, — ou du moins une forte présomption. On a essayé d’écrire « l’histoire naturelle de la croyance » et vous entendez bien ce que cela veut dire : on a essayé d’analyser, de décomposer, de résoudre la croyance en élémens plus simples qu’elle-même, en particules ou en atomes, pour ainsi parler, dont la combinaison n’aurait rien que de purement accidentel, et dont la dissociation serait ainsi l’anéantissement de l’objet même de la croyance ou de la foi. On a essayé, — et toute une école d’anthropologie s’est vouée à cette tâche, — d’établir qu’il avait existé, qu’il existerait encore des populations ou des races destituées de toute croyance, des Papous ou des Bassoutos, dont le fétichisme rudimentaire ne s’élèverait pas, comme on l’a dit en propres termes, beaucoup au-dessus de la respectueuse terreur que le chien ressent, non pas même pour son maître, mais pour le fouet ou la canne de son maître. Et il est certain qu’ainsi défini, de cette manière prétendument scientifique, le besoin de croire ne serait pas intérieur à l’homme, et inhérent à sa constitution, mais extérieur, acquis, et comme superposé. L’homme n’ayant pas toujours cru, il ne serait donc pas destiné à croire toujours ; et on ne pourrait pas dire, on ne dirait pas non plus que le besoin de croire est « factice, » puisque enfin, dans l’hypothèse, il serait l’œuvre du temps et des circonstances ; maison pourrait soutenir qu’il n’est pas « naturel, » c’est-à-dire indestructible ou indéracinable, et de là, cette conclusion, qu’après la croyance l’incroyance aurait un jour son tour. C’est dans le même esprit qu’on a poussé le paradoxe, et j’ose dire la logomachie, jusqu’à parler de « religions athées, » ce qui est presque aussi contradictoire que de parler de « religion naturelle. » En fait, une religion naturelle n’est pas une religion, mais une philosophie ; et il n’y a pas de religions athées. Il y a seulement des athées que les géographes ou les statisticiens, sans y regarder de plus près, inscrivent au compte du bouddhisme ou du confucianisme ; et, en fait, les besoins religieux n’ont jamais trouvé de satisfaction que dans les religions positives.