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Je ne m’attarderai donc pas à discuter les assertions des anthropologistes, et je ne rechercherai pas après eux, dans les récits des voyageurs, ce qu’on y trouve de renseignemens sur l’état religieux des races indigènes de l’Afrique centrale ou de l’Océanie. Cela nous entraînerait trop loin, et peut-être, après tout, ne nous apprendrait pas grand’chose, s’il nous serait toujours facile de contester la valeur du témoignage, et, presque toujours, je ne veux pas dire la véracité, ni l’intelligence, mais les aptitudes, et par conséquent l’autorité de l’observateur. Et puis, en aucun ordre de choses, il n’y a de preuve plus faible que celle du consentement universel, parce qu’il n’y en a pas dont il soit plus facile d’ébranler le fondement même.

Je ne m’attarderai pas davantage à un autre ordre de preuves ou de présomptions, qui peuvent bien avoir quelque valeur, sous de certaines conditions rigoureusement définies, mais dont je crains que l’on n’ait étrangement abusé depuis quelques années ; et je ne demanderai pas la démonstration de la réalité du besoin de croire à ceux qu’on a nommés, d’un nom que je trouve très heureux, « les décadens du christianisme. » Vous les connaissez, ces poètes et ces romanciers, ces auteurs dramatiques aussi, qui ne semblent avoir cherché dans la religion qu’un « frisson nouveau, » c’est-à-dire, en bon français, des sensations nouvelles et des jouissances inéprouvées. J’ai entendu parler, en ma jeunesse, du catholicisme de Baudelaire, et peu s’en faut que, de nos jours, on n’ait transformé en une espèce de saint le bizarre personnage qui s’appelait lui-même « le pauvre Lelian. » Le catholicisme du premier ne consistait que dans l’odieux mélange qu’il faisait des termes de la mysticité avec les peintures du vice ou de la débauche, mais les repentirs du second ne lui servaient qu’à trouver dans la rechute une volupté plus âpre et plus perverse. Et en vérité, si le besoin de croire ne s’établissait que par de semblables exemples, c’est d’un tout autre nom qu’il nous faudrait le qualifier. Car la raison n’est pas la raison de la croyance, et même, nous le verrons, c’est plutôt la croyance qui serait la raison de la raison ; mais il ne saurait cependant y avoir de croyance digne de ce nom que dans un être raisonnable ; et la foi ne peut pas être une forme de la sensualité. C’est ce que l’on oublie trop quand on parle des « décadens du christianisme ; » et puisque je rencontrais cette équivoque en mon chemin, je ne pouvais pas négliger de la dissiper.

Mais où je trouve la preuve du besoin de croire, c’est dans un autre phénomène, d’une bien autre importance, et dont on peut dire sans exagération que, dans le siècle où nous sommes, il est devenu le