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cherchée dans ces religions nouvelles. Vous n’en trouverez nulle part de témoignage plus éclatant ni plus significatif que dans ce que je suis bien obligé d’appeler, faute d’un mot qui convienne mieux, la religion de la Révolution.

Je ne suis pas du tout l’ennemi de la Révolution, et au contraire, si l’on n’avait pas la prétention tyrannique, de m’en imposer l’admiration… globale, je me rangerais volontiers du nombre de ses défenseurs. La Révolution nous a fait beaucoup de bien et beaucoup de mal ; ou plutôt, elle nous a fait, à nous, beaucoup de mal, et beaucoup de bien aux autres, — beaucoup de bien au monde, et beaucoup de mal à la France. Si nous étions, nous, Français, trop près du centre de son action, ses bienfaits n’ont pas laissé de se faire sentir à la circonférence, et nous en avons profité, les derniers. Mais, ce n’est pas aujourd’hui mon sujet d’en dire davantage, et tout ce qui m’importe ce soir, c’est d’attirer votre attention sur ce point que Tocqueville a si bien mis en lumière quand il a dit de la Révolution : « qu’elle était devenue elle-même une sorte de religion nouvelle, religion imparfaite, il est vrai, sans Dieu, sans culte et sans autre vie, mais qui néanmoins, comme l’islamisme, a inondé toute la terre de ses soldats, de ses apôtres et de ses martyrs. » Sans Dieu, dit-il ; et sans culte ; et sans autre vie ? Oui, mais non pas sans rites ni cérémonies, et surtout non pas sans idoles. Car enfin, est-ce qu’encore aujourd’hui, la confiance qu’ils refusent aux enseignemens de l’Église ou aux promesses de l’Évangile, quantité de très bons Français ne la mettent pas, sans hésitation ni réserves, dans la Déclaration des droits de l’homme, et dans les principes de 1789 ? Est-ce que, de l’assaut et de la prise de la Bastille, les historiens classiques de la Révolution, — Thiers et Mignet, Louis Blanc, Michelet, Quinet, — n’ont pas fait le symbole même de la naissance de la liberté ?


C’est la vierge fougueuse, enfant de la Bastille,
Qui jadis lorsqu’elle apparut
Avec son air hardi, ses allures de fille…


vous connaissez le reste, et je me dispense de le citer. Est-ce que nous n’avons pas élevé des monumens, ou plutôt consacré des autels, celui-ci à Mirabeau, celui-là aux Girondins, un troisième à Danton, un quatrième aux Terroristes, d’autres encore à Napoléon ? Est-ce qu’aux moindres paroles qui sont tombées de ces lèvres, — et à tant de discours qui sueraient la médiocrité, si ce n’étaient les occasions tragiques où les Robespierre et les Saint-Just les ont prononcés, — nous n’avons pas attaché des significations profondes, allégoriques et mystiques, non