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d’autres choses, en vérité, comme s’il entrait nécessairement une quantité déterminée de croyance dans la composition même de l’esprit humain et qu’il fallût, d’une manière ou d’une autre, qu’elle se retrouvât toujours. On ne se débarrasse pas du besoin de croire. Il est ancré dans le cœur de l’homme. La négation ne le détruit pas, elle ne réussit qu’à le dénaturer. On en peut bien quelque temps interrompre le cours, on ne saurait en dessécher la source. Si vous ne croyez pas à la parole de Dieu, vous croirez à celle de l’homme ; si vous ne croyez pas au surnaturel, vous croirez au merveilleux ; et si vous ne croyez pas à l’esprit, vous croirez à la matière, — que d’ailleurs vous ne connaissez pas davantage ; — et aux esprits par-dessus le marché.

Comment donc cela se fait-il ? à quoi répond ce besoin de croire ? et comment tant d’attaques, si violentes et si passionnées, n’en ont-elles pas eu raison ? À diverses reprises, dans l’histoire du monde, on s’est vainement efforcé de le décourager, et, si je l’osais dire plus familièrement, de le dégoûter de lui-même. Anéantir, ou à tout le moins discréditer, non pas même la foi, mais toute espèce de croyance ; en démontrer l’incompatibilité avec la science et conséquemment avec le progrès ; faire honte, à ceux qui croyaient, de la pauvreté de leur esprit ou de l’abjection de leur esclavage, tel a été depuis deux cents ans l’objet de toute une philosophie. Et deux cents ans, je le sais bien, c’est peu de chose dans l’histoire de l’humanité, mais nous ne pouvons pas raisonner sur l’avenir, en dehors de toute expérience ; et, puisque, dans les limites de l’expérience, on n’a pas encore triomphé du besoin de croire, nous avons sans doute le droit d’en chercher l’explication dans l’essence même de la nature humaine. J’ose dire, pour ma part, que, si l’on n’a pas jusqu’ici triomphé du besoin de croire, et si nous pensons qu’on n’en triomphera pas, c’est qu’il est le fondement ou, si vous l’aimez mieux, la condition de toute morale, de toute science et de toute action.


II

De toute action, d’abord, et en effet, comment agirons-nous, si nous ne croyons pas ? Qui donc a dit que le doute était un mol oreiller pour les têtes bien faites ; et, à la vérité, je doute que le doute soit ce mol oreiller, même pour des têtes bien faites. Pascal et Bossuet, dans un camp, ont eu la tête assez bien faite, et Diderot ou Voltaire dans l’autre, que vous ne prenez pas, j’imagine, pour des sceptiques ni même pour des douteurs. Vous ne prendrez pas non plus pour tels, en