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nos jours, un Renan, par exemple, ou un Taine. Ils n’ont pas eu les mêmes croyances, mais ils ont tous eu de fortes croyances, ils en ont tous eu d’obstinées et d’irréductibles. En tout cas, le doute énerve les caractères, et tôt ou tard, mais immanquablement, si l’on s’y abandonne, il finit par dissoudre les volontés. Quelque effort que l’on fasse contre lui, si le besoin de croire reparait donc toujours, c’est que nous ne saurions agir ni, par suite, vivre sans lui. Il n’est pas seulement la condition de toute action, il en est vraiment le principe et le ressort. A l’origine de toutes les grandes actions, c’est la foi, c’est une croyance que vous y trouverez. Je dis bien : une croyance ou la foi, c’est-à-dire quelque chose que l’on ne sait pas, mais dont on n’est pas pour cela moins sûr, dont on se sent même presque plus assuré, puisque enfin nous connaissons bien quelques martyrs de la science, — et je n’ai garde ici d’en vouloir diminuer le mérite ou la gloire, — mais combien n’y en a-t-il pas eu davantage de leur croyance ou de leur foi ?

Il est surtout une forme de l’action, dont on ne voit pas comment elle serait efficace ou seulement possible, si la croyance n’en était la substance ou le corps ; je veux parler de l’action commune, celle qui exige de nous la subordination et, au besoin, le sacrifice de nous-mêmes à quelque chose qui nous dépasse. Prenez-en pour exemple tout ce qui s’enveloppe de tel dans le sentiment ou dans l’idée de patrie. « Je doute, a dit un grand écrivain, qu’il soit possible d’avoir une seule vraie vertu, un seul véritable talent, sans amour de la patrie. » Il a raison ! et de très grands peuples, comme les Romains, n’ont pas dérivé d’une autre source tous leurs talens et toutes leurs vertus. Maie n’a-t-il pas aussi raison quand il ajoute : « Si d’ailleurs on nous demandait quelles sont les fortes attaches par qui nous sommes enchaînés au lieu natal, nous aurions de la peine à répondre ? » Oui, nous aurions de la peine à répondre, et ce n’est pas la science qui nous en procurerait le moyen ! Mais nous n’en sommes pas moins assurés pour cela que d’aimer la patrie, c’est un de nos premiers devoirs. Disons-le même tout naïvement : parce qu’il est irraisonné, ou si vous l’aimez mieux, et plus exactement peut-être, parce qu’il n’est point « raisonneur, » c’est tout justement pour cela que l’amour de la patrie est le vrai lien des nations. Nos intérêts nous désunissent et nos passions nous divisent ; les combinaisons de la politique n’aboutissent qu’à des expressions géographiques ; l’âme obscure des races ne suffit point à faire un peuple, ni le despotisme des institutions, ni la communauté de langue ; mais la communauté des croyances est seule