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d’y être supérieur, de ne pas s’en laisser obséder ; » et, en effet, ne nous représentans-nous pas bien Dante « souriant » de son Enfer, ou Michel-Ange de son Jugement dernier, Spinosa de son Ethique ou Calvin de son Institution chrétienne ? Mais Calvin et Spinosa, Michel-Ange et Dante n’étaient pas des « personnes distinguées. » Le don leur avait été refusé, ce don précieux de ne pas croire à leur œuvre ou de ne pas s’en laisser obséder, je veux dire le don de se moquer du monde et d’eux-mêmes tout les premiers. Ils s’appliquaient sérieusement à des choses sérieuses, comme des fanatiques ! et au lieu de prendre la fleur ou la quintessence de tout pour en respirer au passage l’aristocratique parfum, ils avaient, — suprême inélégance ! — le mauvais goût, ils avaient le pédantisme de mettre dans tout ce qu’ils entreprenaient toute leur volonté, toute leur intelligence, et quelquefois tout leur cœur. Il faut le dire, toute une génération, dont je suis, a été nourrie à l’école de ce dilettantisme, et vous en trouverez encore de délicieux représentans parmi nous. Mais je crois que le temps en est aujourd’hui fini. Nous ne nous soucions plus, vous ne vous souciez plus d’être une « république athénienne. » Si nous n’étions que quelques-uns jadis à protester contre ce bas idéal de jouisseurs, nous devenons tous les jours plus nombreux. Nous le serons plus encore demain, après-demain, je l’espère, et si je n’obtenais que cet effet de cette conférence, nous n’aurions assurément, ni vous, ni moi, perdu notre temps. Croire qu’il faut croire, et s’efforcer de croire, et de cet effort vers la croyance faire le fondement de sa croyance même ; non, encore une fois, cela n’est pas une naïveté, ou, si l’on veut que c’en soit une, elle enferme alors plus de sens que les plus étincelans paradoxes.

Les rationalistes s’en apercevront bien, après les dilettantes ; et les rationalistes, entendons-nous, ce ne sont pas ceux qui font usage de leur raison, jusque dans les choses de la foi, mais ce sont ceux qui ne souscrivent qu’aux vérités rationnelles, et ce sont ceux qui nient l’existence de l’inconnaissable ou celle du mystère. Vous remarquerez à ce propos que je ne vous ai pas dit, et je ne vous dis point que nous sommes environnés de mystères, que tout en nous-mêmes est mystère, ou que nous sommes pour nous le plus mystérieux des mystères. Cette manière de raisonner a quelque chose d’équivoque, ou plutôt ce n’est pas une manière de raisonner, c’en est une de jouer sur le mot de « mystère. » Mais je vous ai dit, ou, ce qui valait mieux, je vous ai fait dire par un positiviste que, non seulement il y avait dans le monde plus de choses que notre science ou notre philosophie n’en pourront jamais connaître, mais encore quelque chose d’absolu qui