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conditionnait le relatif, qui nous en apparaissait comme la raison d’être, qui la serait toujours ; et voilà vraiment le mystère des mystères. Aucun raisonnement ne percera ce mystère, aucun rationalisme n’aura raison de cet inconnaissable. Et dira-t-on peut-être qu’en ce cas, et on l’a dit, nous n’en sommes pas plus avancés ! Ce n’est pas ce que je pense ! Nous pouvons faire un pas de plus, et retournant leurs propres moyens contre nos adversaires, c’est à eux-mêmes que nous pouvons demander de nous y aider.

Nous ne savons pas toujours nous servir de nos adversaires ; nous ne savons pas dégager de ce que nous appelons leurs erreurs, la part de vérité qu’elles contiennent ; et, en disant cela, je songe à l’espèce d’acharnement que nous avons déployé quelquefois contre le positivisme. Sans doute, c’est que les disciples d’Auguste Comte ont souvent dénaturé, — comme Littré, par exemple, — et souvent mutilé la doctrine du maître. Ils l’ont coupée pour ainsi dire en deux ; et, d’un système à la formation duquel avaient presque également concouru l’auteur du Pape et celui de l’Esquisse de l’histoire des Progrès de l’Esprit humain, Joseph de Maistre et Condorcet, ils n’ont retenu que la part du second. C’est à nous qu’il appartient, dans un esprit plus impartial, de faire aussi la part du premier. Ne craignons donc pas de reconnaître qu’en dépit de ses erreurs, et d’un peu de folie, — je parle au sens propre, — qui s’est mêlé parfois à ses spéculations, Auguste Comte aura été le grand « penseur » du siècle qui finit. Rendons-lui pleinement et hardiment justice. Ne doutons pas qu’une influence comme la sienne, qui certes n’a rien eu de celle qu’exercent le charme dangereux du dilettantisme ou le prestige d’un grand style, doive avoir son explication dans la justesse de quelques-unes de ses idées. Et puisque enfin d’un système, je l’ai dit et j’aime à le répéter, il n’y a jamais que les morceaux qui soient bons, ne pensons donc ni ne nous obstinons surtout à raisonner en bloc, et lâchons plutôt d’absorber en nous, pour nous l’incorporer, ce qu’il y a de vrai dans la doctrine.

Or, si nous nous plaçons à ce point de vue, nous en tirons ce grand avantage de pouvoir poser comme fait, et comme fait historique, — c’est-à-dire objectif, — tout ou presque tout ce que nous avons dit du besoin de croire. C’est un fait que la Révolution française a essayé de revêtir, et, autant qu’il était en elle, de développer en son cours les caractères qui sont ceux d’une religion. C’est un fait que le fond d’un Romain, comme on l’a dit, était « l’amour de la patrie, » et que si Rome a conquis le monde, c’est qu’elle s’est crue de tout temps destinée à le conquérir.