Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui se morfondait à la Bastille attendant toujours les résultats de la poursuite intentée contre lui. Celui-là, Luynes le détestait, plus encore peut-être que Luçon. Il disait que la reine mère, conseillée par lui, « était l’unique ennemi de l’État. » Par un artifice vraiment machiavélique, on fit tomber la reine mère et Barbin dans un piège trop facile à préparer. On montra au prisonnier un visage moins sévère. On lui accorda quelques menues faveurs ; on le laissa se promener dans l’étroite cour de la Bastille ; on lui permit de correspondre au dehors ; le commandant de la Bastille avait pour lui des sentimens de bienveillance : on le laissa libre de les manifester. La reine, avertie, crut qu’elle pourrait, sans inconvénient, reprendre quelques relations avec son ancien serviteur. Elle lui écrivit, bien sottement, pour lui demander conseil, « n’ayant plus personne auprès d’elle en qui elle se fiât. » Il répondit, d’abord fort sagement, puis plus habilement, puis plus fortement, selon son caractère. Plusieurs grands seigneurs furent mis au courant. Luynes lui-même, qui avait gagné les courriers et qui lisait toutes les lettres, paraissait désireux de recourir à ce moyen pour rechercher un rapprochement avec la reine mère. Il trompait ainsi, non seulement Marie de Médicis et Barbin, mais ses meilleurs amis, comme le duc de Rohan, son beau-père, Montbazon, qui était honnête homme et s’employait de bonne foi au succès de l’affaire, et des personnages importans dont la rancune pouvait lui être dangereuse, Bellegarde et d’Epernon. « Tous se rapportaient à Barbin » qui, par l’ascendant naturel de son caractère, avait repris, du fond de sa prison, une sorte d’autorité.

Lui et la reine s’enferraient. Elle commit l’imprudence d’envoyer à Paris un émissaire maladroit et brutal, Chantelouve, qui vint à la cour, parlant haut et annonçant le prochain retour de l’exilée. Luynes n’attendait que cette occasion. Il se dévoila tout à coup, exhiba la copie de toutes les lettres qu’il avait fait saisir et parmi lesquelles il y en avait de compromettantes, cria au complot. Le Roi fut effrayé. On arrêta le commandant de la Bastille et son lieutenant, Bournonville et Persen. On mit la main sur quelques pamphlétaires à gages qui payèrent pour tous et furent brûlés vifs en place de Grève. On emplit la Bastille et le For-l’Evêque. On resserra Barbin, et on mit les fers au feu pour un procès qui pouvait le conduire à l’échafaud. En un mot, on terrorisa, par tous les moyens, cette malheureuse reine, affolée