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les délégués des patrons et des ouvriers, ces séries de prix qui servent de base aux adjudications de la Ville. Mais, depuis la grève de 1881, les patrons avaient refusé de concourir à la confection de ces séries, et celle de 1882 avait été établie sans leur concours. Ce point est essentiel à établir, car il a donné lieu à des récriminations violentes. En fait, les prix portés dans cette série n’ont jamais été appliqués, et le Conseil municipal n’avait pu insérer dans les cahiers des charges la clause du salaire minimum, la délibération de 1888 ayant été annulée par le Conseil d’État. Au moment de la grève, les ouvriers étaient donc payés 0 fr. 45 et 0 fr. 50 de l’heure, c’est-à-dire aux prix de la série de 1880, et le Conseil municipal le savait si bien que, tout en parlant très haut du respect de la série de 1882, il faisait établir par ses ingénieurs ses cahiers des charges et les bordereaux de ses adjudications en prenant pour base les prix réellement payés. A tous les points de vue la responsabilité de la crise retombait ainsi sur lui. En tenant compte du renchérissement forcé de la main-d’œuvre par suite de tous les travaux en cours et de la cherté des vivres au moment de l’Exposition, l’augmentation de 0 fr. 10 de l’heure réclamée par les ouvriers n’avait d’ailleurs rien d’excessif. Mais les entrepreneurs, liés par leurs contrats, ne pouvaient supporter une augmentation de 20 pour 100 portant sur la main-d’œuvre ; ils perdirent du temps en discussions et ne répondirent pas immédiatement à la lettre du Syndicat des terrassiers.

Le 13 septembre, les ouvriers travaillant aux chantiers Cour-celles-Champ-de-Mars se mirent en grève ; ils parcoururent en bandes les autres chantiers, invitant leurs camarades à se joindre à eux pour soutenir leurs revendications. Le soir, ils tinrent une première réunion, à la suite de laquelle 2 000 puisatiers et mineurs occupés aux travaux de réfection des égouts décidèrent de se joindre aux terrassiers. La grève fut proclamée, et le syndicat convoqua tous les membres de la corporation, syndiqués ou non syndiqués, pour le lundi ti, à une première réunion, salle Langeron, puis à une seconde réunion, à 2 heures de l’après-midi, à la Bourse du Travail, « pour examiner les conditions dans lesquelles la lutte était engagée et les mesures à prendre pour qu’elle aboutît à une victoire prompte et décisive. »

Le mouvement était lancé : dès le lendemain, les chantiers des Moulineaux et des Invalides sont désertés, et il ne reste plus que 271 ouvriers au chantier de la Cour des Comptes. Dans la journée,