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reçu de grands bienfaits, encore qu’elle ne les méritât point ; mais selon la grammaire, cela signifie qu’encore que le Roi ne méritât point ces bienfaits, il ne laissait pas de les répandre sur la Muse de Molière. C’est donc s’expliquer barbarement. Voici l’autre exemple :

Les Muses sont de grandes prometteuses
Et comme vos sœurs les causeuses,
Vous ne manqueriez pas sans doute par le bec.

« Le sens de l’auteur est que sa Muse ressemblerait à ses sœurs, qui ont beaucoup de babil ; mais selon la grammaire cela signifie clairement et uniquement qu’elle ne manquerait pas de caquet, comme les autres Muses en manquent. Remarquez bien que, par barbarisme, je n’entends pas des expressions ou des paroles tirées des autres langues, et inconnues à la française ; j’entends un arrangement qui choque les règles et que nos bons grammairiens regardent comme barbare.

« On voit dans le même poème marquis repoussable ; terme barbare. On y voit prévenant amas ; autre terme barbare : car le mot prévenant n’est en usage qu’au figuré, et ne signifie pas un homme qui a passé devant d’autres. »

Il est vrai que cette « note » soulève une petite difficulté. La première édition du Dictionnaire de Bayle est de 1697, et on lit bien dans la neuvième édition des Caractères, qui est de 1696 : « Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon et le barbarisme, et d’écrire purement, » mais dans les cinq éditions précédentes, 1689-1696, La Bruyère c’était contenté de mettre : « Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon et d’écrire purement. » Bayle, qui était à l’affût de toutes les nouveautés, a-t-il remarqué l’addition, et a-t-il voulu dans sa note en préciser le sens ? et La Bruyère avait-il voulu, lui, se conformer à l’autorité de l’Académie, dont il était, et qui venait tout justement, en 1694, de définir ainsi le barbarisme : « Faute qu’on fait contre la pureté de la langue, en se servant de mauvais mots ou de mauvaises phrases ? » Mais je croirais plutôt qu’y ayant deux espèces de fautes contre « la pureté de la langue, » l’une qui consiste à n’en pas observer scrupuleusement toutes les règles ; et l’autre à en altérer ou à en obscurcir la clarté de diverses manières, — par de nouvelles expressions, qu’on essaie de mettre en usage au hasard de ce qu’il en adviendra, — c’est la première qu’en l’appelant barbarisme, La