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C’est ce qu’il faut bien savoir, si nous leur voulons être équitables, c’est-à-dire les juger sur ce qu’ils ont eux-mêmes voulu faire, et d’après leurs propres principes. Ils n’écrivent point pour être lus, mais pour être entendus. Ils ne racontent point, ni même n’exposent ou ne raisonnent : ils discourent. Ils ne se soucient pas d’être pittoresques ou colorés, mais éloquens. L’arrangement de leur phrase n’est point calculé ni destiné pour les yeux, mais pour l’oreille. Lisez Cassaigne, à ce propos, dans la Préface qu’il a mise aux Œuvres de Monsieur de Balzac, ou encore Godeau, dans son Discours sur les Œuvres de Monsieur de Malherbe. L’un et l’autre ils ne louent de rien tant leur auteur que d’avoir en français découvert et fixé « les nombres, » Balzac de l’éloquence, et Malherbe de la poésie. Sans le nombre, c’est-à-dire sans l’harmonie, écrit Godeau, « il n’y a point de pensées qui ne dégoûtent incontinent ; » et le grand mérite de Balzac, aux yeux de Cassaigne, c’est « d’avoir montré que l’éloquence doit avoir ses accords, aussi bien que la musique. » Mais ce n’est pas assez de dire que la langue du XVIIe siècle, en général, est « oratoire ; » cela est évident des Sermons de Bossuet ou des Provinciales de Pascal. Ce n’est pas non plus assez de dire que les « comédies de Molière sont faites avant tout pour être jouées ; » et il en faut dire autant des tragédies de Racine ou de Corneille. Il faut encore aller plus loin, et il faut poser comme fait que le caractère le plus général du style classique, de 1636 à 1690, a été d’être un style parlé.

Je ne dis pas « périodique, « après ou d’après Taine, et je ne dis pas non plus « organique, » avec Scherer. J’ai appris à me défier de ce mot « d’organique », sous lequel personne encore n’a su dire clairement ce qu’il entendait, s’il n’y mettait qu’une métaphore, ou s’il attribuait à la « phrase » je ne sais quelle vie naturelle et indépendante. D’un autre côté, le mot de « périodique » suppose un arrangement de parties, des artifices et des apprêts, un balancement, une pondération, un équilibre, qu’on pourra bien trouver dans Voiture ou dans Balzac, — et plus tard dans Fléchier ou dans Massillon, qui sont, eux, vraiment des rhéteurs, — mais non pas du tout dans Bossuet ni dans Pascal, et encore bien moins dans La Fontaine ou dans Molière. Le vrai style parlé se définit plus simplement, plus naïvement. Il essaie d’imiter ou de reproduire le jaillissement même de la parole, lorsqu’on fait parler les autres, comme font Racine ou Molière ; et, quand on parle