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En tout cas, on ne saurait nier qu’elles en soient moins comiques, — sinon moins « satiriques, » — et précisément encore, Molière n’est pas un satirique, mais un comique. Si la différence est difficile à définir, elle n’en est pas moins considérable, et Voltaire, par exemple, en est une preuve, qui a si bien manié la satire, mais dont les comédies, l’Enfant prodigue ou Nanine, sont médiocres. Est-ce aussi parce qu’elles sont bien écrites ? On n’oserait le dire, et cependant, expérience faite, on y relèverait moins de prétendues incorrections, d’apparent embarras du discours, de « lourdeur, » et moins de métaphores hasardées que dans celles de Molière. C’est qu’il y a justement des « embarras » et aube-soin des « incorrections, » il y a même un « galimatias » où se peignent les caractères ; et j’entends ici non les caractères généraux, l’hypocrite ou l’avare, mais Harpagon ou Tartuffe en personne, tels que leur vice, mais aussi tels que leur condition, leur origine, leur manière de vivre et tout ce qui constitue leur individualité les a faits. Eux aussi, c’est de tout cela qu’ils sont comiques, de la naïveté même avec laquelle ils le laissent voir, de la façon dont ils se trahissent eux-mêmes dans leurs discours. N’est-ce pas peut-être ce qui a échappé à quelques critiques du style de Molière ? et, jusque dans sa manière d’écrire, si la vie qui est, comme on l’a dit, « une comédie pour ceux qui pensent » est au contraire « une tragédie pour ceux qui sentent, » ne serait-ce pas, à vrai dire, le comique et la comédie même qui leur déplairait ? La distinction des « genres » n’est pas arbitraire dans l’histoire de la littérature ou de l’art, et elle se fonde sur d’autres caractères, qu’on pourrait énumérer, mais sur aucun plus profondément ni, pour ainsi parler, plus éternellement que sur la diversité des familles d’esprit.


III

Que penserons-nous donc de la langue et du style de Molière ? de sa langue d’abord, et de son style ensuite ; car ce sont deux choses, qu’on a tort de confondre, ou du moins d’envelopper dans le même jugement. Sa langue est celle de son temps, — un peu archaïque peut-être, — mais la langue bourgeoise, non pas la langue aristocratique ni la langue philosophique ou théologique ; la langue de Paris, celle des Halles et du Palais, non de Port-Royal ou de la Cour ; la langue de Boileau, non celle de Voiture, ni