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avec ses « nouveaux termes » et ses « barbarismes, » et Scherer quand il n’a pas craint d’appeler Molière un « aussi mauvais écrivain qu’on le puisse être, avec des qualités de fond qui dominent tout ? » Tout bonnement que le style de Molière n’était pas conforme aux règles de leur rhétorique. Je crains seulement qu’ils n’aient pas songé que ces règles n’affectaient que le dehors du style, si je puis ainsi dire, l’observation de quelques usages, les fantaisies de la mode, et nullement le fond. A moins encore qu’ils n’aient cru que le style s’appliquait du dehors sur la pensée, comme une sorte de vêtement qui ne ferait pas corps avec elle, et qu’ainsi, de même qu’un Antinoüs ou une Vénus peuvent être fort mal habillés, de même, en parlant mal, on peut cependant bien penser. Il n’y a pas d’erreur plus fâcheuse, et finalement, dans l’histoire de notre littérature nationale, il n’y en a pas qui ait contribué davantage à énerver la prose elle-même du XVIIIe siècle finissant. Tout le monde « écrivant bien, » personne alors n’écrit bien ; et ni les vers de l’abbé Delille ne se distinguent de ceux de Lebrun, ni les mots de Rivarol de ceux de Chamfort, ni une page de Marmontel d’une page de Laharpe. C’est que l’art d’écrire et l’art de penser n’en font qu’un ; et on le sait bien ; et en le redisant je n’ai pas la prétention de rien apprendre à personne ! mais, en fait, on juge du style comme si l’on ne le savait point, et aussi longtemps qu’on en jugera de la sorte, il se trouvera des critiques pour redire du style de Molière ce que Bayle et Scherer en ont dit.

Il se trouvera aussi des « délicats » ou des « dédaigneux, » comme Vauvenargues et comme Fénelon, qui, sans toujours s’en rendre compte, n’aimeront pas dans le style de Molière la qualité même d’esprit, la nature de génie, et la philosophie dont ce style est l’expression. Telle était déjà l’opinion de l’auteur des Satires devenu celui de l’Art poétique, et, d’hommes de lettres ou de basochien, homme de cour. Et en effet, il n’y a presque point une plaisanterie de Molière, au moins dans ses grandes pièces, qui n’insinue toute sa philosophie. Nous la retrouvons jusque dans ses farces ; et son Malade imaginaire ou son Médecin malgré lui ne sont que des apologies de la nature. Il est permis de ne pas aimer cette philosophie, et plus d’une fois, pour notre part, nous avons usé largement de la permission. Mais alors, au lieu de dire, comme Fénelon, « qu’en pensant bien il parle souvent mal, » on dirait peut-être, avec plus de justice et d’impartialité, qu’en