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été préparées pour eux, des ordres rigoureux ferment les approches du navire et du camp impérial, non seulement aux journalistes étrangers, mais aux journalistes d’Allemagne. Le gouvernement turc complète par sa censure cette consigne de passer au large, et j’ai vu de mes yeux une lettre où le directeur du télégraphe demandait au correspondant d’un journal si celui-ci préférait que sa dépêche partît allégée de certaines appréciations ou ne partît pas. Des moyens plus détournés, mais plus ingénieux, concourent à écarter de la route impériale même les voyageurs moins dangereux que les faiseurs d’opinion. Je désirais, avec quelques amis, débarquer comme Guillaume II à Caïffa, et suivre de là à Jérusalem le chemin de caravane. Nous savions que le désert appartient à MM. Cook, qu’il vaut pour eux une ferme en Bric, qu’ils ont accaparé les chevaux, les mulets, les tentes et les guides : nous leur avons demandé passage sur leur domaine. Après trois jours de dépêches échangées avec Caïffa, le représentant de M. Cook nous a exprimé ses regrets de ne pouvoir se charger de nous. Il a bien, outre le cortège impérial, des touristes et en grand nombre, mais ce sont des voyageurs qu’il a pris dès l’Allemagne, et qu’il ramènera en Allemagne. Que tes tentes sont belles, ô Cook ! et que tes pavillons sont éclatans ! Mais ils ne s’ouvrent qu’au peuple choisi. Et ainsi les combinaisons d’une agence contribuent à assurer à l’empereur un cortège de nationaux. Toutes ces coïncidences ont un air de calculs ; il semble qu’après avoir attiré l’attention de loin, l’empereur travaille à éviter les regards, à effacer ses traces. Guillaume prétend-il qu’on parle de son voyage et ne désire-t-il pas qu’on le voie ?

Ce doute suffirait à nous décider. Nous ne serons pas de la caravane, mais nous la précéderons à Jérusalem. C’est là que le touriste deviendra pèlerin, c’est là que se prononceront les paroles et que s’accompliront les actes d’importance. Mais, autres obstacles. La seule ligne régulière qui mène commodément et vite de Jérusalem à Jaffa est celle des Messageries Maritimes ; or le bateau ne fait ce service que tous les quinze jours, et la semaine où nous sommes est celle où il n’y a pas de service. Un seul moyen nous reste d’assister à l’arrivée et au séjour de l’empereur en Palestine, c’est de partir dès aujourd’hui par un bateau russe qui va en Égypte. Il touchera Alexandrie le 24, et de là un autre navire nous ramènera vers le nord à Jaffa, où nous débarquerons le 26, si la mer le veut.