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dramatique, conçue pour elle-même et qui, au besoin, pouvait se suffire et être son propre objet. A l’intrigue savamment agencée on ajoutait, et parfois même on adaptait, l’étude des mœurs, l’analyse des sentimens, la peinture des caractères, l’examen des problèmes moraux ou sociaux, la discussion des thèses. C’étaient autant de précieux ornemens, mais ces ornemens étaient de surcroît. D’habiles transitions ménageaient le passage du plaisant au grave, et du grave au doux. Amusante au début, la comédie, suivant les théories de Diderot et de Mercier, inclinait peu à peu à devenir pathétique, pour se terminer par être consolante, sans avoir un instant cessé d’être spirituelle. C’était le triomphe du mélange des genres. Le chef-d’œuvre de ce système de complication consistait dans l’invention de l’intrigue parallèle. « Cette seconde intrigue, triste si la première était gaie, gaie si la première était triste, réfutation ou parodie, antithèse ou reflet, la rappelait en la transposant dans un autre ton, ou, au contraire, s’opposait franchement à elle. Parfaitement distinctes au début, ces deux intrigues parallèles finissaient par converger et devaient coopérer au dénouement. Si elles y manquaient, la critique tenait l’auteur pour un apprenti qui ne savait pas son métier et le renvoyait à l’étude des modèles. » Le rôle le plus significatif en était celui du « Desgenais » fertile en aphorismes et en bons mots, véritable spectateur transporté sur la scène, témoin de l’action, jugeant les coups, expliquant les intentions de l’auteur, et placé par lui à côté des personnages pour distribuer aux uns le blâme de ses sarcasmes, aux autres la récompense suprême de son estime. Ce rôle nous est devenu insupportable : il avait fait les délices de nos pères. C’est surtout sur ces deux points que le système a fléchi ; c’est par-là qu’à la reprise les pièces de Dumas et d’Augier nous font l’effet d’être surannées.

Notons d’ailleurs que ce qui était systématique et par conséquent fragile dans la comédie de Dumas et d’Augier c’était la réunion de tant d’élémens disparates. Mais chacun pris en lui-même avait sa valeur. Il ne serait pas difficile de trouver dans la comédie du XVIIe siècle de beaux exemples d’intrigue parallèle, et l’emploi de raisonneur y est abondamment tenu. De même, on a bien pu briser le système ; mais les morceaux en étaient bons. Force a été de les reprendre. On s’était évertué à nous démontrer qu’il ne doit pas y avoir de sujet dans une pièce, et que les philistins eux seuls peuvent se plaire aux « pièces bien faites ; » en dépit des théoriciens farouches de la « pièce mal faite, » l’invention, l’imagination, la fertilité des ressources, l’ingéniosité des moyens, sont restés des mérites dont il est plus facile de médire que