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le fisc avait flairé là une bonne source de recettes. Au moment de la Révolution, du cognac âgé de vingt ans se payait à Paris 8 francs le litre ; à Cognac, l’eau-de-vie n’était cotée que 3 francs, dans les Charentes, 2 francs et dans le Bordelais, 1 fr. 50, prix qui représente la valeur moyenne des spiritueux indigènes en 1790. Tous provenaient, bien entendu, de la distillation des vins et des cidres ; les propriétaires de Saintonge et d’Aunis, en particulier, se plaignaient amèrement, en 1785, d’être réduits à convertir leurs vins on alcool, pour s’en défaire, ne pouvant les exporter en nature par suite des droits élevés à la sortie, ni les vendre dans le voisinage, vu la médiocre qualité de ces produits auxquels les gens riches préféraient les crus de Bordeaux. Ils passaient donc ces liquides à l’alambic, mais en gémissant sur les frais que l’opération occasionnait, notamment sur la cherté du bois, « très rare dans la province. »

Notre siècle réservait aux viticulteurs charentais des compensations auxquelles ils étaient loin de s’attendre, malgré la concurrence des nouveaux « esprits » entrés dans la consommation. Un savant saxon avait, depuis deux cents ans, démontré qu’il était possible de tirer l’eau-de-vie d’une foule de matières, et la distillation des grains apparut en Allemagne sous le règne de Ferdinand II. Chez nous, elle était si peu usitée que, jusqu’à 1850, 815 000 hectolitres, — sur 890 000 fabriqués annuellement — étaient issus des jus de fruits fermentes. À partir de 1855, les ravages de l’oïdium provoquèrent le développement rapide des « alcools d’industrie, » ainsi nommés parce que leur production exige des usines et un outillage spécial.

Les vins, les cidres ou les bières, au sein desquels le sucre a fermenté spontanément, contiennent de l’alcool tout formé qu’il suffit de recueillir, en le séparant de l’eau, dans un alambic. Le sucre naturel des betteraves, ou de leurs mélasses, doit au contraire être transformé par des fermens artificiels, avant de pouvoir être isolé à l’état d’alcool ; enfin l’amidon, qui représente 60 pour 100 environ du poids des grains, n’est qu’un sucre en expectative, un sucre spécial qui se refuserait à fermenter, même artificiellement, si, par une opération préalable, on ne le métamorphosait en glucose, avant de le transmuer, grâce à de nouvelles réactions chimiques, en alcool susceptible enfin d’être distillé.

En deux ans (1857), les eaux-de-vie de fruits étaient tombées