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aimait passionnément, il avait dans sa compagnie, pour ami intime, un camarade nommé Mortier, qui manifestait un goût très vif pour le commerce. La destinée, volontiers capricieuse, fit de ce dernier le maréchal duc de Trévise, et du jeune Hennessy le créateur d’une affaire qui, depuis trois générations, a prospéré, puisque le chef actuel de cette famille est aujourd’hui le plus fort exportateur de Cognac.

La renommée des Charentes était sous ce rapport, au moment de la Révolution, toute nouvelle ; leur vin dit de « Borderie » était estimé en Hollande, mais, pour l’eau-de-vie, les peuples du nord, de temps immémorial, l’achetaient sur les bords de la Loire, et tel buveur, dans Shakspeare, manifestant sa sympathie pour le « Nantes, » était l’interprète de ses contemporains. À la fin du premier Empire, les produits de la Saintonge étaient tombés à un bon marché inouï ; la barrique d’eau-de-vie de 270 litres se vendait alors 100 francs et la hausse de 1817, qui porta le prix à 215 francs, fut regardée comme « formidable. » Elle l’était effectivement, puisqu’il y a une trentaine d’années, l’hectolitre, dans les crus ordinaires, ne coûtait pas plus de 65 francs ; il est vrai que, si la récolte était abondante, on pouvait, pour 5 francs, se faire remplir une pièce de vin chez le paysan. L’année 1875 marqua l’apogée de la production et du commerce des Charentes : la maison Hennessy, à elle seule, expédia 30 000 barriques et 500 000 douzaines de bouteilles, soit 126 000 hectolitres en tout.

Ces chiffres exceptionnels ne devaient plus reparaître ; le total des sorties par les ports de Tonnay-Charente, la Rochelle et la Palice, en 1893, n’atteignit que 190 000 hectolitres répartis entre tous les négocions de la contrée. Que cette quantité, même ainsi restreinte, fût exempte de tout alliage, nul ne serait assez téméraire pour l’avancer ; et par alliage je n’entends pas le caramel obligatoire, employé à nuancer la jeune eau-de-vie depuis le blond pâle jusqu’au brun foncé, suivant le goût des cliens et la longueur du trajet qu’effectueront les bouteilles, — celles qui parlent pour l’Australie doivent être teintées bien plus fortement que celles qui vont en Angleterre, parce qu’elles se décolorent durant la traversée avant d’arriver à Melbourne ; — que le stock de 6 millions d’hectolitres, dont l’annuaire de Cognac affirmait l’existence actuelle (1897) dans les chais locaux, soit arithmétiquement certain ; qu’il ait surtout le jus de raisin pour origine