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part, quoiqu’il soit possible qu’on l’exagère, comme il arrive toujours en cas pareil. Le « mauvais sort » ne peut-il donc, de même que dans les contes de Perrault, être conjuré ?

On s’est figuré d’abord que le mal venait de la qualité inférieure des eaux-de-vie. Nombre de gens, dont plusieurs passaient pour s’y connaître, glosèrent sur la question et l’on déchargea sur ce texte des tombereaux de lieux communs. Des expériences de laboratoires, les morts étranges infligées aux animaux, à qui l’on inoculait de très faibles doses d’alcool, avaient fait une impression profonde sur les esprits. La lumière se fit peu à peu, et des savans mieux informés réduisirent à néant les affirmations trop hâtives de leurs confrères, sur la nocivité des différens alcools. Ils firent observer que beaucoup de substances, inoffensives lorsqu’on les boit, sont mortelles si on les injecte dans ses veines et que, par suite, le choix de la porte d’entrée importait beaucoup. J’ai connu un vieux médecin qui disait : « Mettez dans un mortier et pilez tout ce qu’un homme bien portant peut manger dans un dîner en ville : poivre, moutarde, sauces, truffes, viande, gibier, vins, eaux-de-vie, chartreuse, faites du tout un cataplasme et posez-le sur votre cuisse. Vous aurez des ecchymoses et votre chair se détachera par escarres. » Je ne sais s’il disait vrai ; mais il est sûr qu’on ferait fuir le physiologiste le plus convaincu, en lui proposant d’insérer dans ses artères la quantité de vinaigre, ou même d’huile, qu’il consomme tous les jours dans sa salade. De l’eau claire introduite dans la circulation sanguine serait dangereuse, tandis que l’on avale impunément le venin d’une vipère.

On avait cru aussi que les alcools étaient, suivant leur origine, hygiéniques ou nocifs ; les premiers issus des divers fruits, les seconds de la betterave ou des farineux. Puis on s’aperçut que c’était tout le contraire, que les éthers, l’aldéhyde, le fusel, n’existaient que dans les eaux-de-vie de vin nature, principalement dans les meilleures et les plus vieilles ; tandis que les alcools d’industrie étaient chimiquement à peu près purs ; nul n’ayant intérêt à les vendre autrement parce qu’entre ceux qui sont buvables et ceux qui ne le sont pas, il y a, en prix, une distance de deux ou trois centimes par litre et, en goût, une différence semblable, ou même plus forte, qu’entre l’huile d’olive et l’huile de foie de morue.

Quant aux eaux-de-vie naturelles, on ne pouvait songer à en éliminer, par une stricte rectification, le parfum qui fait toute