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chef. Quant à l’opinion publique, il y avait à peine six mois que ses défaillances avaient concouru à la ruine de notre situation en Égypte : il était peu probable que le souci des choses du Tonkin provoquât de sa part un réveil d’énergie. Devions-nous cependant manquer l’occasion d’acquérir une colonie qui offrait le triple avantage de constituer par elle-même un domaine productif, d’ouvrir des débouchés privilégiés sur les trois grandes provinces méridionales de la Chine et de nous donner une position stratégique de premier ordre pour le développement de notre influence en Extrême-Orient ? L’effort à prévoir ne dépassait pas la mesure de nos moyens et serait largement rémunéré par les bénéfices d’une opération dont les risques étaient presque nuls.

Telles sont les conclusions auxquelles conduisait l’étude des élémens d’information dont on disposait alors au quai d’Orsay. Il fallait donc qu’une politique d’action prévalût.

C’est le résultat qui fut assuré par l’envoi des renforts expédiés au Tonkin sur la Corrèze, en décembre 1882. — Je n’ai jamais répudié la responsabilité et je puis aujourd’hui revendiquer en partie l’honneur d’une résolution qui engageait irrévocablement l’entreprise.

La direction en était bientôt confiée à M. Jules Ferry, qui y appliquait, avec une conviction éclairée, toutes les ressources de son esprit et toute la ténacité de son patriotisme. Jusqu’à la dernière heure, j’avais la satisfaction, comme son collaborateur le plus intime, d’être associé à ses pensées, à ses angoisses et à ses espérances.

Ce n’est point ici le lieu de dire les difficultés du dehors et du dedans qui ont retardé l’issue ; j’en ai tracé ailleurs un historique complet[1]. Je veux seulement rappeler qu’après deux ans de guerres et de négociations, la Chambre des députés renversait le Cabinet, sur la nouvelle d’un insignifiant échec de nos armes, au moment où le dénouement prévu venait d’être assuré par notre diplomatie. Je suivais naturellement M. Jules Ferry dans sa retraite. J’emportais, il est vrai, la consolation d’avoir signé les préliminaires, qui mettaient fin à la lutte armée et nous confirmaient le dominium de tout l’Annam. Mais il ne m’était pas donné de mettre la main au traité de paix, qui intervenait deux mois plus tard (9 juin 1885), en consacrant définitivement le programme du début et les efforts déployés pour en assurer la réalisation.

  1. L’affaire du Tonkin, par un diplomate. Un vol. chez Hetzel et Cie, 1888.