Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de son isolement, son conseiller préféré disparaissait sur un échec et laissait la place libre au rival, qui, surexcitant les passions et les rancunes, faisait sonner la fanfare, toujours facile au début, des résistances énergiques et des entreprises vigoureuses.

Ce serait se perdre dans une brousse d’intrigues que de prétendre suivre les marches et contremarches de Ruccellaï, dès qu’il fut sur la piste de son grand projet. Tout son système partait de ce point de vue, que les grands prendraient rapidement ombrage de la faveur de Luynes ; qu’ils se grouperaient contre lui ; qu’ils rechercheraient l’appui de la Reine, et qu’enfin l’opinion elle-même, mobile et versatile comme elle l’est en France, se retournerait en faveur de la mère séparée de son fils par la volonté d’une coterie comblée de biens et d’honneurs.

Ce revirement, en effet, se produisait. Les grands se cherchaient dans l’ombre, pour opposer un contrepoids à l’autorité croissante du duc de Luynes. En se rapprochant les uns des autres, ils se tournaient vers la Reine-Mère.

Ruccellaï était l’homme fait pour s’emparer de pareilles dispositions, et pour réveiller et rapprocher des sentimens qui dormaient incertains ou couvaient isolés dans les âmes. Ce n’était pas une petite affaire, en ce temps-là, de mettre sur pied une intrigue de ce genre, quand elle n’avait pas son centre à la cour ! Car les grands du royaume, dispersés sur leurs terres, séparés par de grandes distances et, plus encore, par leurs rivalités et leurs susceptibilités personnelles, ne pouvaient se joindre, s’entendre et se confier les uns aux autres que si une activité extraordinaire savait leur ménager la peine et épargner à leur orgueil la plus grande partie du chemin.

Pendant des mois et des mois, Ruccellaï battit l’estrade pour arriver à ses fins. Il semble bien que ses premiers mouvemens remontent à l’époque où un certain nombre de grands, Bellegarde, Rohan, d’Épernon, Montbazon, étaient devenus, avec l’aveu plus ou moins sincère de Luynes, et avec le concours plus qu’imprudent de ce pauvre Barbin, les confidens d’une première tentative de rapprochement entre le Roi et la Reine-Mère.

L’échec de cette tentative avait froissé plusieurs de ces grands personnages. Il en était, parmi eux, qui n’aimaient pas à passer pour dupes.

Au premier rang, Louis de Nogaret et de la Valette, duc