Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les Français sont libres de pratiquer leur religion, de se rendre dans les lieux saints. Le même bénéfice est étendu aux étrangers « amis de l’empereur de France. » Voilà le privilège religieux.

Par l’alliance promise en retour à la Turquie, la France non seulement abandonnait sa propre tradition, elle abrogeait le droit de la société chrétienne. Elle mettait fin à la politique de principe qui, jusque-là, sauvegardait par la force collective de l’Europe une foi unique, source d’une civilisation commune. Elle cessait de considérer les Turcs en usurpateurs violens, elle oubliait l’illégitimité particulière de leur conquête, l’offense imprescriptible faite à la foi par leur présence. Elle sacrifiait la délivrance des peuples conquis par l’Islam et la concorde du monde civilisé à l’espoir de dominer l’Europe. Elle inaugurait par un grand acte d’égoïsme la politique d’intérêt.

Une politique d’intérêt se juge aux résultats. Quels ont été les résultats obtenus par la France en faveur des trois intérêts qu’elle prétendait servir, sa prépondérance politique, sa richesse commerciale, et son protectorat religieux ?


I

Au moment où elle fut conclue, l’entente avec l’Islam pouvait assurer à la France la domination de l’Europe. Les forces réunies des deux peuples formaient le plus puissant moyen de contrainte qui fût dans le monde. Mais il fallait que la France attachât ouvertement à son côté l’alliance ottomane comme le sabre au flanc du soldat ; qu’elle lui fût fidèle comme la main à la poignée de l’épée ; qu’elle partageât avec son compagnon de lutte les bonnes ou les mauvaises fortunés, et, triomphant par lui, lui permît de grandir par elle. Après avoir préféré les chances de l’hégémonie par la force à l’ancienne tradition chrétienne qui faisait la force servante d’un droit supérieur à elle, il restait à nos rois à oser leur pensée. Assez ambitieux pour affronter le scandale de l’amitié turque, ils n’avaient, ce semble, pas plus à redouter les atteintes portées à la vie d’au 1res peuples par les succès de l’Islam, qu’un général résolu à vaincre ne se laisse émouvoir par la vision des morts et par les cris des blessés.

Mais c’est l’honneur et la faiblesse de la France qu’elle ne