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n’aient pas regardé comme impossible qu’on pût se faire entendre dans leurs théâtres, puisqu’ils ont continué, jusqu’à la fin, à en construire et que les auteurs n’ont pas cessé d’y faire jouer leurs pièces. Ils pensaient seulement qu’on n’y pouvait réussir qu’à de certaines conditions ; et ces conditions, je remarque qu’elles se sont trouvées réunies dans nos représentations modernes. Rappelons-nous que ces fêtes, annoncées longtemps à l’avance, données à de longs intervalles, excitaient partout une grande curiosité, qu’on venait de loin pour voir jouer des pièces célèbres et des acteurs en renom, et qu’on était disposé à les écouter avec une religieuse attention. Aussi nous dit-on que le silence y était profond et qu’il régnait une sorte de recueillement dans l’assistance. Voilà précisément ce que les auteurs anciens demandaient à leur public et ce qu’ils n’obtenaient guère.

Le public de Plaute, nous le connaissons ; nous savons, grâce à ses prologues[1], ce qu’étaient les gens qui remplissaient la cavea de son théâtre improvisé, les jours où l’on jouait ses pièces. À l’exception des sénateurs, auxquels, depuis quelques années, on réservait des places particulières dans l’orchestre, tout le monde était mêlé et confondu sur les gradins. Il y avait d’abord ces paysans robustes et grossiers, qui, après avoir peiné toute l’année dans leurs fermes de l’ager romanus, à labourer ce sol ingrat et fiévreux, arrivaient à Rome les jours de fête avec l’idée de se bien divertir, et pour qui le divertissement n’était complet qu’avec beaucoup de mouvement et de bruit ; à côté d’eux, les petits bourgeois de la ville, « ceux qui achètent et qui vendent, » les boulangers, les bouchers, les marchands d’huile du Vélabre, à qui Mercure[2], pour obtenir un peu de silence, promet qu’ils feront toujours de bonnes affaires. Il y avait aussi des femmes, et en grande abondance. À l’époque d’Auguste, un règlement sévère leur interdit d’assister à certains spectacles, et, dans d’autres, leur assigna des places particulières ; ce n’était qu’aux jeux du cirque qu’elles étaient libres d’aller où elles voulaient. Du temps de Plaute, ces défenses n’existaient pas ; elles se mêlaient aux autres spectateurs, et, selon le mot de Nævius, bavardaient comme des cigales. Les nourrices mêmes apportaient dans leurs bras leurs nourrissons. Les courtisanes avaient soin de se placer au premier rang,

  1. On croit que plusieurs de ces prologues ne sont pas authentiques, mais ils sont tous fort anciens et des années qui ont suivi de près la mort de Plaute.
  2. Dans le prologue de l’Amphitryon.