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Ce qui distingue surtout le senarius, c’est qu’il n’est pas accompagné par la flûte[1], c’est-à-dire qu’il est récité et non chanté. Au contraire, les autres vers, de quelque nature qu’ils soient, font partie de ce qui se chante, ce qui revient à dire que tout ce qui n’est pas composé de senarii doit être rangé parmi les cantica[2]. Or, le nombre des morceaux de ce genre, dans le drame romain, est très considérable ; ils occupent en moyenne les deux tiers, quelquefois les trois quarts des pièces de Plaute. Le canticum était donc, dans ces pièces, la partie de beaucoup la plus importante. On en est fort étonné, surtout quand on se souvient que le chant avait presque disparu des comédies deMénandre, de Diphile, de Philémon, que Plaute imite d’ordinaire. Comme elles étaient devenues une sorte de drame bourgeois, avec des sujets tirés de la vie commune, il était naturel de mettre dans la bouche des personnages le langage de tous les jours. Aussi se servent-ils presque partout du vers de la conversation familière, du trimètre iambique. Pourquoi donc Plaute, qui s’était mis à leur école, ne les a-t-il pas suivis en cela, comme en d’autres choses ? Quelle raison avait-il de multiplier, autant qu’il l’a fait, les parties chantées ? Quand on le connaît, la réponse est facile : il a voulu plaire à son public. Il faut donc admettre ou bien que la rfice italienne avait déjà pour la musique le goût prononcé qu’elle n’a pas perdu, ou, ce qui est plus vraisemblable, que le développement régulier d’une intrigue, le charme des vers, la peinture des passions, l’expression des sentimens délicats et des idées élevées, dont les Grecs se contentaient, n’avaient pas un attrait suffisant pour les spectateurs romains, qu’ils exigeaient qu’on en relevât l’intérêt par la danse et le chant, c’est-à-dire qu’ils étaient plus sensibles à un plaisir plus matériel, qui s’impose surtout aux sens et qui n’a besoin, pour être saisi, d’aucun effort d’intelligence. Quoi qu’il en soit, c’était une très grave altération de la comédie grecque.

Dans cette partie chantée, qui tient tant de place chez Plaute, il y a des différences à faire, qui viennent de la nature des mètres dont il s’est servi. On s’accorde à distinguer deux genres de cantica, qui n’ont pas tout à fait le même caractère, quoiqu’on leur

  1. Nous en avons une preuve très curieuse dans le Stichus de Plaute. À la fin de la pièce, les esclaves, qui font bombance, invitent le joueur de flûte à boire un coup avec eux ; comme il ne peut pas jouer pendant qu’il boit, les senarii reprennent jusqu’à ce qu’il ait fini.
  2. C’est Ritschl qui l’a pleinement démontré.