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les yeux pour savoir à qui l’on avait affaire. Dès qu’on apercevait le ventre du souteneur ou la chlamyde rouge du capitan, le rire s’éveillait de lui-même. C’étaient de vieilles connaissances, qu’on avait plaisir à revoir. On se souvenait des sottises qu’auparavant on leur avait dites, des bons tours qu’on leur avait joués, des heures de plaisir qui s’étaient passées si vite à les voir et à les entendre, et la pièce nouvelle profitait du succès de celles qui l’avaient précédée.

Ce genre de mérite devait être encore plus apprécié à Rome qu’ailleurs. On a vu que le public y était d’ordinaire assez mal disposé à écouter, et qu’il ne voulait pas se donner beaucoup de peine pour comprendre. C’était le servir à souhait que de faire paraître devant lui des gens avec lesquels il était familier de longue date et qui n’avaient pas besoin de se nommer pour qu’on les reconnût. En les voyant, on savait ce qu’ils avaient déjà fait et l’on soupçonnait ce qu’ils allaient faire ; sans presque les écouter, on devinait ce qu’ils devaient dire. Il importait peu qu’on se laissât distraire un moment par quelque incident inattendu, qu’on fût dérangé par son voisin ou assourdi par sa voisine ; dès qu’on rejetait les yeux sur la scène et qu’on y voyait les personnages qui l’occupaient, on se remettait vite au courant de l’action. Voilà, je crois, une raison de plus qui explique qu’avec une acoustique si imparfaite et un public si désordonné, on ait pu suivre une pièce jusqu’au bout sans un grand effort d’attention, et comment on parvenait à s’y intéresser et à la comprendre, même quand on n’en entendait qu’une partie.

Tout n’est pas encore fini. Nous avons amené les acteurs du fond du théâtre sur le devant de la scène. Ils ont fait leur entrée, ceux-ci par la porte qui conduit à la place publique, ceux-là par celle qui mène à la campagne, de façon qu’en les voyant arriver, nous savons d’où ils viennent ; et comme, en même temps, nous devinons à leur costume ce qu’ils doivent être, nous sommes parfaitement renseignés sur eux avant qu’ils n’aient ouvert la bouche. Les voilà enfin sur le pulpitum, en face du public. Ils vont représenter devant lui la pièce qu’il est venu entendre.

Ici, nous sommes bien forcés de nous arrêter, et pourtant notre curiosité n’est pas encore tout à fait satisfaite. Ne pouvant pas, comme le public romain, assister à la représentation elle-même, nous voudrions au moins qu’il nous fût possible de nous la figurer ; c’est précisément ce qui est assez malaisé. Les quelques peintures