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misères qu’elles répandent. On a dit des lois protectrices du travail dans les fabriques qu’elles sont les exposans et non les opposans de la liberté ; car la liberté consiste à soustraire les ouvriers au joug d’une nécessité contraignante, à l’extrême avidité de gain qu’engendrent chez certains patrons les tendances spontanées de l’économisme et l’âpre loi de la concurrence. Stanley, économiste orthodoxe, avoue lui-même que, dans les usines et manufactures, le travailleur ne pouvant régler le travail, il est juste de recourir à l’intervention de l’Etat toutes les fois que la santé et la liberté effective des ouvriers le réclament.

Si la conception de « l’organisme producteur commun » justifie, comme nous l’avons vu, la réglementation du travail des femmes et des enfans, elle peut s’étendre aussi au travail des adultes. La législation suisse a englobé ces derniers dans les dispositions formelles de la loi protectrice. La loi suisse s’applique à 200 000 ouvriers de tout sexe et de tout âge, dont la moitié environ sont des adultes mâles âgés de plus de dix-huit ans. En Angleterre, l’industrie cotonnière emploie un peu moins d’un quart d’ouvriers adultes, et l’industrie lainière environ un tiers ; mais, sans que la loi ait stipulé rien de précis, les hommes profitent de la protection accordée aux femmes et aux enfans, parce qu’ils ne peuvent travailler sans leur aide. Nos travailleurs souffrent des longs chômages ; ils sont exposés à de nombreux accidens qui ruinent leur santé et les réduisent à la misère ; ils se plaignent d’une organisation économique qui, après toute une existence de labeur, ne leur assure pour les mauvais jours de la vieillesse ni une retraite, ni un abri. Les économistes leur répondent : « Laissez passer ! » Les collectivistes disent : « Nous vous ferons maîtres collectifs du sol et de l’usine. » Entre ces deux extrêmes, l’idée de justice sociale commande des réformes ayant pour but de sauvegarder tous les droits, aussi bien ceux du capital que ceux du travail.


IV

On peut, pour déterminer les vraies attributions de l’Etat, faire appel à deux idées : d’abord celle de justice sous toutes ses formes, puis celle des intérêts universels ou des fonctions universelles. Les Anglais ont considéré surtout les intérêts ; les Allemands, en se préoccupant des « fonctions organiques » ou « historiques » de l’Etat, comme aussi de sa « mission » plus ou moins