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Ma santé en souffre beaucoup, mais c’est le moindre que j’aye[1]. »

Le duc de Bourgogne adressait également à son frère Philippe V une belle lettre où il tire sa résignation de considérations mystiques.


À Marly, le 26 avril 1705.

Je ne vous ai point écrit, mon cher frère, depuis la perte que j’ai faite de mon fils, et je croy que la tendresse que vous avez pour moy vous l’aura faitte sentir vivement. Il auroit été à souhaiter non seulement pour mon intérest particulier, mais encore pour celuy des affaires générales, que ce malheur ne fût point arrivé, mais les hommes doivent toujours se soumettre aveuglément à ce qui vient d’en haut. Dieu sçait mieux que nous-mêmes ce qui nous convient ; il a la vie et la mort dans ses mains, et a placé mon fils dans un lieu où je désire ardemment de le rejoindre un jour. Cependant ce n’est pas assez de le désirer, il faut y travailler, et je serois janséniste si je disois autrement ce que vous scavez bien que je suis bien éloigné d’estre. L’état où vous êtes, mon cher frère, et celuy auquel je suis destiné selon le cours de la nature (souhaittant que ce soit bien tard), cet état, dis-je, est rempli d’autant de dangers qu’il y a de devoirs à remplir, et ces dangers sont d’autant plus pressans que ces devoirs sont grands ; mais aussi quel degré de gloire est destiné dans le ciel à ceux qui les remplissent dignement ! Je ne vous donnerai pas d’autre modèle que saint Louis dont nous avons l’honneur de descendre ; il n’y a pas à doutter qu’après avoir rempli sur la terre les devoirs immenses de la royauté, il ne possède une place bien élevée dans le ciel, et il ne l’a pas acquise sans peines, sans applications, sans soins, sans traverses. Je m’aperçois qu’insensiblement, au lieu d’une lettre, je fais un sermon, mais vous en voyez l’intention ; elle est droitte certainement, et la matière que j’ai traittée d’abord m’a bien fait faire de réflexions différentes sur le bonheur de mon fils d’estre arrivé au ciel sans avoir essuyé les horribles dangers où nous sommes, et dont la seule correspondance fidèle à la grâce, la vigilance, le travail, la justice et l’accomplissement exact de nos devoirs nous peuvent tirer. Il est vrai, que si le péril est grand, la grâce est abondante et que Dieu ne nous laissera jamais tenter au-dessus de nos forces, mais il faut les employer, et le serviteur négligent a été damné aussi bien que Judas et le mauvais larron[2].


Quelques jours après, il lui écrivait encore, en lui donnant des nouvelles de la duchesse de Bourgogne, et d’une médecine qu’elle

  1. Archives de Turin.
  2. Archives d’Alcala. Lettres communiquées par le Père Baudrillart.