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assurer la neutralité des États pontificaux, surtout présider à la formation d’une armée toscane et la ramener vers la nôtre.

Il eût mieux valu charger de cette mission un autre que le prince Napoléon, car il était évident qu’on ne manquerait pas de murmurer qu’il allait se préparer la couronne de Toscane. Cavour le comprit ainsi, et, avec sa promptitude de soupçon, accourut à Alexandrie et supplia l’Empereur de retirer son ordre. L’Empereur le reçut froidement et lui répondit sec : « Je n’ai pas l’intention de mettre un prince français sur un trône quelconque de l’Italie et je rassurerai diplomatiquement les grandes puissances quand ce sera nécessaire. » Le Roi n’avait point partagé l’inquiétude de son ministre : il savait son gendre dévoué, incapable de se prêter nulle part à contrarier ses vues. Le fin Salvagnoli disait en se moquant : « Nerli dira que le prince Napoléon prendra la Toscane. Autre sottise! La Toscane ne se donnera jamais, et encore moins Napoléon III ne l’acceptera si elle se donnait[1]. » L’Empereur ne pouvait fournir le véritable motif d’une décision dont il ne se dissimulait pas les inconvéniens : il ne voulait pas garder auprès de lui son cousin, parce qu’il redoutait ses critiques et ses propos. Dès Gênes, cela avait commencé. « Comment va le Roi ? demande le Prince à Cavour[2] devant l’Empereur. — Il va bien, répond Cavour; il consulte souvent le maréchal Canrobert et suit volontiers ses conseils. — J’aimerais mieux, riposte le Prince, qu’il suivît ceux de La Marmora, qui m’inspire bien plus de confiance que Canrobert[3]. » L’Empereur craignait qu’il ne parlât ainsi de tout et de tous pendant la campagne, et comme il n’aimait pas les discussions, il préférait le tenir au loin.

Du reste, il place de bonne grâce, pour dissiper les ombrages, le corps du Prince sous les ordres du Roi et réserve à celui-ci de mettre les Toscans sous sa direction. Cavour fut convaincu. « Il n’y a aucune arrière-pensée, ni dans l’Empereur, ni dans son cousin; l’entrée des troupes françaises n’est qu’une mesure d’ordre public, se liant au plan général des opérations militaires. Le Prince n’est pas et ne sera pas le successeur désigné de la maison de Lorraine[4]. »

  1. Lettre à Panizzi, du 23 mai, citée par Chiala.
  2. Cavour à La Marmora, 17 mai 1859.
  3. Cavour était venu à Gènes saluer l’Empereur.
  4. À Villamarina, 21 mai 1859.