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se présenta chez le Roi. Le Roi lui tendit le texte arrêté : « Signer un tel acte serait ignominieux !… À quoi bon conserver le trône subalpin et de quoi sert même l’annexion de la Lombardie, si l’Italie entière continue à demeurer sous la suprématie politique et militaire de l’Autriche ? Que Votre Majesté recommence la lutte avec ses seules forces, et si la fortune lui est de nouveau contraire, qu’elle se retire plutôt en Sardaigne ou qu’elle aille errant en Europe. Quant à moi, je ne signerai pas, et je prie Votre Majesté d’accepter ma démission. » Et il se retira. — « Cavour est un ingrat, un tyran ! dit le Roi. Il a été insolent, mais je le plains, parce qu’il y a déjà quelque temps qu’il a perdu la tête ; j’ai eu tort de le trop écouter ; puisqu’il m’abandonne, je ne suis pas fâché d’être débarrassé de lui ; je trouverai d’autres amis qui m’aideront. »

D’autres Italiens, en effet, furent plus clairvoyans et plus justes envers Napoléon III. Le brave Della Rocca répondit aux récriminations : « Basta ! Napoléon sait ce qu’il fait, et il ne le ferait pas s’il n’y était pas contraint. » Neri Corsini, délégué de la Toscane au camp, écrivait : « Injustice et absurdité sans exemple serait d’accuser l’Empereur de la paix. Il n’est pas dans la nature des choses qu’un prince guerrier renonce spontanément, pour le plaisir de décevoir une nation entière, à une entreprise conduite avec tant de sacrifices et tant de gloire au point où nous en étions ! La raison vraie et de force majeure, l’Empereur me l’a dit à moi, est l’attitude de la Prusse et de la Confédération menaçant d’une guerre générale qui aurait compromis l’Italie et la France ! » Garibaldi lui-même eut un éclair de conscience, et dit à ses volontaires en les licenciant : « De retour dans vos foyers et au milieu des caresses de vos familles, n’oubliez pas la reconnaissance que nous devons à Napoléon III et à l’armée française, dont tant de vaillans enfans sont encore, pour la cause de l’Italie, blessés ou mutilés sur un lit de douleur. » Voilà ce qu’aurait dû dire l’Italie entière. Au lieu de crier : « Siamo traditi ! (nous sommes trahis !) » elle aurait dû dire : « Siamo salvati ! (nous sommes sauvés !) » et ne pas oublier, que si, dès 1859, elle n’a pas obtenu la Vénétie, c’est à la Prusse et non à la France qu’elle doit le reprocher.

Victor-Emmanuel ajouta à sa signature : « J’approuve en ce qui me concerne. » C’était une manière de protester contre la Confédération et le retour des Grands-Ducs. Il chargea La Marmora